Après la grogne des policiers de voie publique, le ras-le-bol des officiers de police judiciaire. Depuis deux semaines, un mouvement de contestation contre la lourdeur de la procédure pénale essaime au sein des forces de l’ordre. De nombreux fonctionnaires ont ainsi demandé le retrait de leur habilitation d’officier de police judiciaire (OPJ). Envoyées sous forme de rapports, adressées au parquet général, ces demandes restent symboliques, l’habilitation d’OPJ ne pouvant être annulée que par le biais d’une sanction. Mais la démarche prend de l’ampleur.

A Lyon, jeudi 1er décembre, une délégation de policiers a déposé au secrétariat du procureur général près de 400 demandes de retrait d’habilitation. Selon plusieurs sources, quatre commissaires figurent parmi les signataires. « Des mails ont circulé, on en a discuté dans les services, explique un enquêteur d’une unité de la police judiciaire de Lyon. Ce n’est pas contre la justice, c’est une manière de dire qu’on ne peut plus continuer comme ça. Notre métier n’a plus de sens, on croule sous les actes administratifs, on n’enquête plus. »

Grogne « disparate »

A Paris, « 56 rapports ont été remis jeudi au chef de service du premier district de police judiciaire [DPJ] de la préfecture de police », comptabilise Bruno Forel, chef de groupe au 1er DPJ et délégué de l’Union des officiers FO pour la police judiciaire de la préfecture de police. Il assure que d’autres services sont en train de collecter des dizaines de rapports, à la brigade des stupéfiants ou encore au troisième DPJ.

« La grogne est très disparate, observe Christophe Rouget, du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure. Il y a des villes où il n’y a pas de demandes et d’autres où des services entiers sont concernés ». Le mouvement est parti de Montpellier et fait tache d’huile, à Nîmes, Sète et Agde (Hérault), Angoulême ou Nantes.

C’est une nouvelle disposition législative entrée en vigueur mi-novembre qui a agi comme élément déclencheur. Elle prévoit la possibilité pour un suspect de s’entretenir pendant sa garde à vue avec un tiers (un parent, un proche, un employeur ou une autorité consulaire). La communication peut se faire par téléphone, par écrit ou à l’occasion d’un entretien d’une demi-heure maximum et en présence de l’OPJ. Le policier pourra s’y opposer, en raison par exemple d’un risque de concertation avec des complices ou de pression sur un témoin, mais il devra motiver son refus.

D’après nos informations, ce nouveau droit est majoritairement refusé depuis son entrée en vigueur. « Dire à un voyou qu’il peut recevoir un complice pour prévenir sa bande, on marche sur la tête », justifie le commandant d’une unité d’investigation de la police judiciaire de Lyon. « Ça nous rajoute cinq lignes dans le procès-verbal de notification de la garde à vue, auquel s’ajoute un PV pour détailler l’exercice de ce droit ou le refus motivé du policier », liste Bruno Forel.

Paradoxalement, cette disposition est issue de la loi du 3 juin 2016 que le gouvernement se targue d’avoir adoptée, notamment, pour combattre la lourdeur de la procédure pénale. Un vœu pieux ? Le texte prévoyait par exemple de généraliser la possibilité pour les enquêteurs de regrouper sur un même procès-verbal plusieurs actes de procédure. Mais « c’était le cas déjà dans certaines procédures simplifiées comme en cas de vol à l’étalage ou de consommation de stupéfiants, explique Christophe Rouget. Et sur des procédures plus complexes, comme notre logiciel de rédaction de procédure n’est pas adapté et que ce n’est pas dans notre culture, ça ne fait pas gagner un temps extraordinaire ».

Ordre des priorités inversé

A l’arrivée, la gestion administrative d’une garde à vue devient « délirante », estime un chef de service de la PJ de Lyon. Appel du médecin, avis à l’avocat et au magistrat, avis à la famille… « Il faut compter au moins dix pages de procédure avant la moindre audition sur le fond, témoigne ce commissaire. On passe notre temps à vérifier des papiers, l’ordre des priorités est complètement inversé. » Un magistrat du parquet abonde : « On comprend le mécontentement des policiers sur la lourdeur des procès-verbaux de notification de garde à vue. C’est vrai que cette paperasse, c’est démobilisateur. »

Avec la loi du 3 juin, la procédure s’est enrichie d’une autre nouveauté. Désormais, une personne mise en cause dans une affaire peut aussi se faire assister d’un avocat au cours des reconstitutions d’infraction – rares dans le cadre d’enquête préliminaire ou en flagrance – mais aussi lors des séances d’identification de suspects derrière une vitre sans tain – appelées « tapissages ». « L’objectif est de garantir la régularité de l’identification du mis en cause par la victime ou le témoin, notamment en écartant tout soupçon de suggestion ou d’influence par l’enquêteur », précise ainsi, dans une note du 22 novembre, le procureur de la République de Paris, François Molins. Une formulation qui fait bondir Bruno Forel : « Outre la procédure qui s’épaissit, le gros problème c’est que le voyou est présumé innocent et l’OPJ est, lui, présumé coupable. En attendant, déjà que les gens sont fébriles, ils ne reconnaîtront personne s’ils sentent le souffle chaud de l’avocat du mis en cause dans leur cou. »

Un avis qui n’est pas partagé par Christian Saint-Palais, président de l’Association des avocats pénalistes : « Je suis toujours surpris que les enquêteurs soient rétifs. L’amélioration des conditions de la garde à vue permet d’éviter les erreurs d’orientation de l’enquête. »

La transcription d’une directive européenne de 2013 est à l’origine de ces nouvelles dispositions. « Depuis une dizaine d’années, les droits des personnes privées de liberté ont été accrus », reconnaît Gérard Tcholakian, avocat pénaliste membre du Syndicat des avocats de France. « Mais en même temps que se sont développés les droits de la défense, le parquet a acquis des pouvoirs plus importants en matière de perquisition, de géolocalisation, d’écoute téléphonique… »

En outre, ajoute Me Tcholakian, « les policiers ont adapté leurs méthodes de travail et on remarque que leurs enquêtes sont plus abouties avant de procéder à des interpellations ». MSaint-Palais corrobore : « Les policiers ont longtemps dit qu’ils ne pourraient pas accueillir les avocats en audition. Et finalement, ça se déroule très bien. »