Tombes anonymes de combattants islamistes dans un cimetière des faubourgs de Makhatchkala, au Daghestan. | Sergueï Grits/AP

L’organisation Etat islamique (EI) a revendiqué, jeudi 31 décembre 2015, une fusillade qui a fait un mort et onze blessés au Daghestan, république du Caucase russe particulièrement instable. « Avec l’aide d’Allah, les guerriers du Califat ont réussi à attaquer des employés des services de sécurité russes dans la ville de Derbent », selon un message attribué à l’EI et rendu public par le SITE Intelligence Group, un centre américain de surveillance des sites islamistes. Deux gardes-frontières du FSB (les services secrets) figureraient en effet parmi les victimes, dont l’un est mort à l’hôpital à la suite de ses blessures.

Mardi, vers 23 h 30, une vingtaine de jeunes gens originaires de la région se promènent devant les remparts de cette ville deux fois millénaire, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est l’un des rares sites touristiques du Daghestan. Ils essuient des tirs nourris depuis la forêt de pins attenante, par au moins trois assaillants qui prennent la fuite. Les autorités ont lancé une chasse à l’homme. Les auteurs seraient des combattants locaux déjà responsables d’une série d’attaques, notamment contre des fonctionnaires à la mi-décembre. Mais le mode opératoire rappelle bien celui de l’EI.

Les responsables politiques, comme les médias publics, restent discrets sur la revendication. « L’EI s’attribue tout ce qui se passe dans le monde dans le but d’accroître son autorité et son influence », s’indigne Viktor Ozerov, à la tête du comité de défense du Conseil de la Fédération, cité par l’agence de presse publique Ria Novosti. Le sénateur réclame une enquête objective, pour comprendre « qui a réellement organisé l’attentat ».

« Groupes de bandits »

Les assaillants, qui « veulent gâcher les fêtes », sont probablement des « groupes de bandits (…) qui cherchent à se venger » d’opérations des forces spéciales, affirmait quant à lui le dirigeant de la République du Daghestan, Ramazan Abdoulatipov, le lendemain de la fusillade. Une enquête a été ouverte mercredi pour homicide, tentative d’homicide et trafic d’armes, écartant la piste terroriste. Cette prudence rappelle la gêne des autorités à reconnaître l’attaque revendiquée par l’EI contre un avion russe dans le Sinaï, qui a fait 224 morts le 31 octobre 2015.

« L’attentat de Derbent nuit à l’image de forteresse inattaquable de la Russie, souligne Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire, un think tank visant à renforcer la coopération franco-russe. A ma connaissance, c’est la première attaque de ce type de l’organisation islamiste sur son sol. » En septembre, la branche caucasienne de l’EI avait revendiqué une opération contre un camp militaire dans la région.

Lors de ses vœux, jeudi, Vladimir Poutine a souhaité « de belles fêtes à nos troupes qui luttent contre le terrorisme international, qui protègent les intérêts nationaux de la Russie loin à l’étranger ». Mais pas un mot du président russe sur la fusillade, signe d’un certain embarras. Ce serait sans doute reconnaître les risques de l’intervention en Syrie, auprès d’une population déjà peu enthousiaste.

Le 12 novembre, une vidéo postée par l’EI promettait, dans un message chanté en russe : « Très bientôt, le sang coulera à flots. » L’organisation terroriste avait annoncé en 2014 son intention de « libérer » le Caucase russe pour former un « califat islamique ». Certains groupes de combattants locaux lui ont prêté allégeance cet été. L’EI bénéficie d’un terreau favorable dans ces républiques à majorité musulmane : voisin de la Tchétchénie, le Daghestan est en proie à une rébellion islamiste depuis plus de quinze ans. La politique très répressive des autorités ne suffit pas à endiguer la radicalisation des jeunes, et la région reste économiquement très fragile.

« L’EI perd du terrain en Irak et en Syrie. Ces revers pousseront les djihadistes à rentrer dans leur pays d’origine et, forts de leur expérience, ils tenteront de poursuivre leur combat ici », note Alexandre Mikhaïlenko, politologue à l’Académie présidentielle russe

Pourtant, sur le papier, la situation semble s’arranger. « Le nombre d’actes terroristes a été divisé par 2,5 cette année », s’est félicité le directeur du FSB, Alexandre Bortnikov, le 15 décembre. Sur 26 chefs de groupes affiliés à l’EI dans le Caucase russe, les services en auraient neutralisé 20. Mais les têtes repoussent et des affrontements entre combattants et forces de l’ordre ont lieu presque chaque semaine.

Les bons résultats affichés de la lutte antiterroriste tiennent aussi aux départs massifs de djihadistes. Près de 2 900 ressortissants russes ont rejoint l’EI en Irak et en Syrie. Ils formeraient la troisième nationalité la plus représentée dans ses rangs. La menace est prise très au sérieux à Moscou. « L’EI perd du terrain en Irak et en Syrie, note Alexandre Mikhaïlenko, politologue au département sécurité nationale de l’Académie présidentielle russe. Ces revers pousseront les djihadistes à rentrer dans leur pays d’origine et, forts de leur expérience, ils tenteront de poursuivre leur combat ici. »

Avec les ressortissants des pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI), l’EI compterait près de 4 800 russophones. Dispensés de visa pour circuler en Russie, ceux-ci représentent aussi une menace sérieuse lorsqu’ils reviennent. A Moscou, le réveillon s’est d’ailleurs déroulé sous haute surveillance. Seules quelques personnalités ont été autorisées à suivre les festivités sur la place Rouge, fermée au public pour la première fois. – (Intérim.)