Y aller ou pas ? La France s’apprête à accueillir, du 7 au 9 décembre, le quatrième sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO ou OGP, en anglais, pour Open Government Partnership). Mais, depuis plusieurs semaines, les associations, qui, en France, militent pour la défense des libertés publiques, la participation citoyenne ou la diffusion des biens communs numériques débattent de l’opportunité de participer à ce rendez-vous. Petit tour d’horizon.

En quoi consiste ce sommet ?

Il doit rassembler les représentants de 70 Etats membres du Partenariat et des acteurs de la société civile venus de nombreux pays. L’objectif affiché est d’améliorer la transparence de l’action publique, encourager le développement durable et l’écologie, et promouvoir les outils numériques pour rénover la démocratie dans les pays partenaires.

A l’heure de la montée des populismes, et de la défection des électeurs dans les urnes, François Hollande avait évoqué, dans un discours à New York, une « urgence démocratique ». Pour le président de la République, les citoyens doivent « coélaborer les politiques publiques » et prendre « réellement en main la démocratie ».

La France espère y convaincre une dizaine d’Etats supplémentaires de rejoindre le mouvement. L’Allemagne, qui sera représentée par son ministre de l’intérieur, Thomas de Maizière, devrait annoncer son adhésion au PGO.

Seront également présents les chefs d’Etat de l’Estonie, de la Géorgie et du Honduras, au côté des chefs de gouvernement lituanien, luxembourgeois, ou macédonien. Du côté de la société civile, les personnalités connues du monde du numérique, telles que Lawrence Lessig, professeur à Harvard et défenseur des libertés sur Internet, Audrey Tang, célèbre hackeuse taïwanaise devenue ministre du numérique de Taïwan, ou Alec Ross, ancien conseiller d’Obama, sont également attendues.

Pourquoi certaines organisations seront-elles absentes ?

En France, la polémique couve depuis plusieurs mois entre le gouvernement et des associations engagées en faveur de la démocratie numérique.

En mai, La Quadrature du Net, la première, a décidé de réorienter ses actions pour ne plus « perdre davantage de temps à tenter d’influencer rationnellement ceux qui ne veulent rien entendre ».

Framasoft, réseau d’éducation populaire à l’origine du mouvement Dégooglisons l’Internet, a, de son côté, renoncé en septembre à travailler directement avec le ministère de l’éducation nationale, alors que le collectif Savoirscom1, qui promeut les biens communs de la connaissance, a annoncé, le 8 novembre, qu’il boycotterait le sommet mondial du PGO.

Si les autres organisations, en majorité, ont choisi de participer au sommet, elles ont toutefois publié, lundi 5 décembre, un bilan très critique des choix du gouvernement.

Long d’une dizaine de pages, le texte cosigné par dix associations, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme, Regards citoyens ou Bloom, dénonce les « contradictions du gouvernement ». Si elles saluent des progrès et notamment le travail d’Etalab, la mission qui accompagne et développe l’ouverture des données publiques et le logiciel libre, ces organisations soulignent leur « désillusion » face à un bilan jugé « très négatif ».

Quelles sont les principales critiques à l’égard du gouvernement ?

  • Première pierre d’achoppement : l’accumulation, depuis deux ans, des décisions qui restreignent les libertés publiques (renouvellement de l’état d’urgence, loi renseignement en juillet 2015, création du fichier Titres électroniques sécurisés).

« L’instauration d’une surveillance généralisée et d’un fichage des citoyens français portent atteinte à la vie privée », constate le texte. « On ne peut pas à la fois dire qu’on veut un gouvernement ouvert et faire passer le fichage des Français par décret », commente de son côté Pierre-Yves Gosset, porte-parole de Framasoft.

  • Les critiques portent aussi sur le décalage entre le nombre croissant de consultations citoyennes et leur portée réelle dans la prise de décision finale.

Plusieurs ministères ont organisé ces derniers mois des consultations sur des projets de loi : République numérique, égalité et citoyenneté, égalité réelle outre-mer…

Ces textes ont été soumis aux internautes, avec pour certains un réel succès d’audience et de participation : près de 140 000 visiteurs pour la loi numérique et 8 500 contributions.

Pour autant les parlementaires n’ont finalement pas retenu l’essentiel des propositions, notamment celle qui visait à rendre obligatoire le logiciel libre dans la fonction publique. La mesure a été abandonnée au profit d’un encouragement.

Selon les organisations non gouvernementales, le gouvernement veut « donner l’impression à la société civile qu’elle “coconstruit” la politique du pays, mais il reste sourd à l’avis des citoyens et à celui de leurs représentants, dès que les questions soulevées ou la tonalité ne lui plaisent pas ».

Interrogé par Le Monde, Henri Verdier, directeur interministériel du numérique, voit dans ces critiques « la preuve qu’une partie de la société civile prend au sérieux les promesses de l’“open government”. S’ils le pensent, ils sont dans leur rôle en disant qu’on ne va pas assez loin. Pour ma part, je pense que ces questions demandent un travail de longue haleine avec une vraie stratégie de conduite du changement, et ne peuvent pas porter de fruits immédiats ».

  • Plus largement, ce sont les choix technologiques du gouvernement qui sont visés.

« Malgré les attentes manifestes exprimées par la société civile, l’Etat », qui a signé des accords avec Microsoft (ministère de la défense en 2013, éducation nationale en 2015), « préfère des logiciels opaques et présentant des risques, notamment de dépendance, à des logiciels libres et transparents, y compris lorsqu’il s’agit de l’éducation des enfants, la défense nationale et des processus démocratiques eux-mêmes ».

Loin d’être une simple question technique, l’accès au code des logiciels utilisés dans la fonction publique relève d’un débat de fond. Lors de la consultation sur la loi République numérique, l’un des articles coécrits par les internautes portait justement sur la création d’un « domaine commun de l’information », regroupant à la fois le logiciel libre et les œuvres placées sous licence Creative Commons afin de protéger ces ressources. L’article n’a finalement pas été retenu par le gouvernement.