L’une des lignes du Métrocable de Medellin (Colombie), et la bibliothèque España, noire et futuriste, en voie d’achèvement. | Diego Zamuner / AFD

Sols et rames rutilent de propreté. Le métro de Medellin est tellement bien entretenu qu’il a l’air neuf. Il a pourtant fêté ses 20 ans, le 30 novembre 2015. Le tramway sur roues, lui, a été inauguré à la fin de la même année. Une quatrième ligne de téléphérique urbain (dit Metrocable), qui surplombe, dans les airs, des quartiers souvent pauvres et densément peuplés, sera inaugurée le 15 décembre, une cinquième en mars 2018.

Située dans la vallée de l’Aburra, au centre du pays, la deuxième ville de Colombie fait désormais figure de modèle en matière de politiques urbaines et de transport. L’Agence française de développement (AFD) a financé la dernière étape de l’extension du réseau, à hauteur de 250 millions de dollars (236 millions d’euros). « Ce qu’il y a de vraiment exceptionnel, c’est le chemin parcouru », souligne l’architecte Jorge Perez, qui a dirigé le département de planification urbaine de la municipalité. Medellin, ville de 2,5 millions d’habitants, surnommée « Mitraillo » à l’époque du capo de la drogue Pablo Escobar, revient de très loin.

« Plus personne n’osait sortir »

« Même les bus ne montaient plus là », se souvient Oscar Robayo, usager du Metrocable, le regard dirigé vers le tapis serré de bicoques en parpaings et toits de zinc qui, à flanc de coteaux, défilent, sous la cabine. Les rares espaces plats sont de mini-terrains de foot. « Il y a encore dix ans, ça canardait dur. Plus personne n’osait sortir de crainte de se prendre une balle perdue », poursuit celui qui a perdu un fils dans cette guerre de la cocaïne. Medellin a longtemps battu tous les records d’insécurité urbaine.

Le prêt accordé en 2011 à la ville de Medellin est le plus gros prêt jamais consenti par l’AFD à une collectivité locale. En d’autres termes, le plus gros risque pris sans garantie de l’Etat. Directeur de l’AFD en Colombie, Maurice Bernard juge que « la continuité des politiques mises en place par les différentes administrations municipales, indépendamment de leur couleur politique, a été un élément essentiel de confiance et d’efficacité ». Victime de ces écueils, paralysé par les ambitions personnelles, le métro de Bogota, lui, est encore à l’état de projet.

Les remboursements à l’AFD ont commencé en 2014. L’agence de notation Fitch Ratings a renouvelé, en octobre, son appréciation positive (AA moins) à l’entreprise publique Metro de Medellin, malgré le surcoût des travaux. La dévaluation du peso – il a perdu près de 40 % de sa valeur face au dollar en 2015 – est, en partie, responsable du dépassement, qui pourrait atteindre 50 %. « L’AFD ne nous fait pas de cadeau, mais elle nous a fait confiance, et c’est énorme », affirme Jorge Perez.

Casquette à l’envers, un jeune cède sa place à une dame âgée dans le tramway. Au micro, une voix masculine annonce les stations et vante les mérites de la « culture métro » basée sur le civisme et la fierté de la modernité. Selon un récent sondage, 80 % des usagers se disent satisfaits des nouveaux transports publics. A Bogota, ils ne sont que 19 % à apprécier le Transmilenio, le nouveau système de bus articulés.

Les vertus du dialogue social

« Tout avait pourtant très mal commencé, rappelle Jorge Perez. Dans les années 1980, les avatars de la construction ont fait du métro de Medellin le symbole de la corruption des élites et de la gabegie. » La ville sombre dans la culture mafieuse et la violence. « Nous sommes tombés si bas que nous n’avons eu d’autre choix que de réagir, tous ensemble, universitaires, leaders sociaux, secteur privé, hauts fonctionnaires. Le succès des politiques publiques mises en place depuis 2004 repose sur ce dialogue social. »

Maire de Medellin de 2008 à 2011, Alfonso Salazar évoque le défi relevé : « Indispensable pour résoudre le problème de la mobilité urbaine, la modernisation des transports a été conçue dans le cadre d’une ambition plus large d’inclusion sociale des quartiers défavorisés, de lutte contre la précarité et de participation démocratique. »

Au pied de la station Santo Domingo du téléphérique, la masse noire et futuriste de la bibliothèque España dit l’ambition d’un projet urbain intégral. Mais elle est en travaux depuis plus de deux ans… Medellin a encore à faire. Plus loin, Jeyson, un apprenti mécanicien de 22 ans, contemple, émerveillé, la station de Villa Sierra et les bulles de verre qui tournent à vide dans le ciel, pour un dernier test, au-dessus de la Comuna 8, dans l’est de Medellin. « Avec la ligne H, je vais gagner deux heures en temps de transport. Je verrai mes trois gamins le soir », se réjouit-il. Pour l’AFD, le projet de Medellin s’inscrit dans une logique de « développement socialement inclusif et économiquement vert ». « Nous avons tous à y gagner », résume Maurice Bernard, en rappelant que la coopération internationale n’est pas de l’altruisme.

Medellin fait école. La ville de Brest vient d’inaugurer son premier téléphérique urbain. Les entreprises françaises y trouvent leur compte. Pomagalski, la compagnie spécialisée dans les équipements de stations de ski, a fourni tous les téléphériques de Medellin depuis 2004. Alstom a emporté le contrat de fourniture d’électricité du tramway. Vendre français ? Ce n’est pas le principal objectif de l’AFD. Mais c’est tant mieux.