Pour Dominique Boullier, il est indispensable de développer l’intelligence de l’exploration | AEC/IJBA

Le bouleversement induit par le « capitalisme financier numérique » implique, pour Dominique Boullier, de s’adapter à l’incertitude.

Comment les salariés vivent-ils les mutations des métiers dues au numérique ?

Il y a une grande confusion parce que, tous les dix-huit mois, les entreprises opèrent des changements managériaux et les salariés ne savent pas s’ils sont imputables aux nouvelles technologies ou à un effet de mode de management. On internalise, on externalise, on affecte par produit, par zone géographique, puis on fait du transversal à nouveau. Très souvent, le numérique sert de justification pour accompagner ces changements. Le capitalisme financier numérique bouleverse tous les secteurs sans exception et raccourcit les temps de réaction. Comment s’y retrouver si l’on ne redonne pas de place à l’écoute, au débat, à l’intelligence collective et si l’on prétend qu’il existe comme une fatalité numérique ?

Quel doit être le rôle ­de l’éducation dans le monde que vous décrivez ?

Il faut remettre au centre l’idée du « faire » dans l’apprentissage, une notion qui est terriblement déclassée dans la société française. L’irruption du numérique doit y participer et transformer la pédagogie. La philosophie du learning by doing[« apprendre par l’expérience »] doit, par exemple, être plus répandue. Avec les imprimantes 3D, on visualise mieux ; pourquoi ne pas s’en servir en cours ? Il faut aussi apprendre la logique algorithmique, car c’est une démarche qui ressemble à celle des maths et de la philosophie. En apprenant à décomposer une tâche, on rend l’esprit des jeunes modulaire. Enfin, je crois qu’il est indispensable de développer l’intelligence de l’exploration pour apprendre à survivre à la vitesse du changement et à l’incertitude. Cela veut dire éduquer les jeunes à s’orienter dans un monde d’incertitudes. Il y a des pédagogues qui travaillent à inventer ces méthodes-là, qui ne sont pas celles de la répétition, de la mémorisation ou de la correction.

La pensée logique et l’agilité en mathématiques sont-elles des atouts indispensables ?

On ne rendrait pas service aux jeunes en leur disant qu’ils peuvent se passer des mathématiques. Même dans la grande industrie du contenu, dans les jeux vidéo ou dans la littérature, il est souvent question de combiner la culture narrative avec l’esprit des mathématiques. Je ne prône pas le retour de « l’honnête homme », ce savant de la Renaissance à la culture générale étendue, néanmoins je pense qu’il faut élargir les horizons des disciplines, car aucun problème ne dépend d’une seule discipline. Cela signifie aussi qu’il faut garder des spécialités et des points forts, parmi lesquels le « faire ». En France, nous avons une très forte culture de l’abstraction, ce qui est une qualité. Néanmoins, les informaticiens doivent aussi avoir une culture générale et historique et s’intéresser à l’histoire de leur propre science, car des problèmes éthiques surgissent toujours des nouvelles technologies, et il faut pouvoir les questionner et les analyser.

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