Mokhtar Belmokhtar est mort pour la troisième fois. Déjà annoncée en 2013 au Mali, puis en 2015 en Libye, celui qu’on surnomme (surnommait ?) « le Borgne » aurait été tué récemment dans le sud de la Libye, a révélé la presse américaine, à la suite d’une frappe aérienne française opérée grâce à « un renseignement américain ». Si la disparition de l’un des principaux chefs djihadistes dans le Sahel est à prendre avec la plus extrême précaution, elle illustre – jusque dans l’énoncé de l’information – l’excellence de la coopération militaire entre Français et Américains. Et, a contrario, l’étendue de ce que les uns et les autres risqueraient de perdre en cas de changement de pied à Washington après l’élection surprise de Donald Trump à la Maison Blanche début novembre.

La nouvelle de l’élimination présumée de Belmokhtar a donc d’abord filtré dans le Wall Street Journal, qui cite un haut responsable américain, avant d’être « confirmée » par un autre, cette fois à Washington, via l’AFP. Or cette information émerge dans un contexte bien particulier. Elle coïncide en effet avec la visite de deux jours, lundi 5 et mardi 6 décembre, à Washington de l’inamovible ministre de la défense de François Hollande, Jean-Yves Le Drian, venu s’enquérir des intentions de la nouvelle administration américaine en cours de formation. Au menu des discussions bilatérales : un point sur la situation au Proche-Orient dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), mais aussi, et peut-être surtout, côté français, sur la coopération franco-américaine dans la bande saharo-sahélienne.

Informations précieuses en temps réel

Pour Paris, l’aide des Américains est tout simplement vitale. Si la France peut « limiter » son déploiement à quelque 3 000 hommes dans une zone de 5 millions de kilomètres carrés (plus vaste que l’Union européenne) pour traquer les cellules djihadistes et empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région, c’est bien grâce au renseignement américain. Les drones déployés par l’armée américaine permettent à l’état-major français de l’opération « Barkhane » installé à Ndjamena, au Tchad, de disposer d’informations précieuses en temps réel sur la circulation de petites unités djihadistes du Mali à la Libye, en passant par le nord du Niger.

Mais pour combien de temps encore ? Si Donald Trump n’a pas affiché clairement ses intentions sur les questions africaines, Paris veut croire qu’il s’inscrira dans une certaine continuité par rapport à Barack Obama. Aux Etats-Unis comme ailleurs, l’arrivée d’un nouveau chef de l’Etat ne peut être synonyme de changements tous azimuts. Les républicains, remarque ainsi un haut responsable à Paris, sont traditionnellement proches du « complexe militaro-industriel ». Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils plaident pour un isolationnisme inconsidéré. Le Pentagone est, d’ailleurs, en train d’édifier sa plus importante base aérienne sur le continent africain à Agadez, au Niger, et les travaux ne vont pas cesser du jour au lendemain.

En revanche, Paris semble redouter la fin d’un âge d’or. Certes François Hollande a conçu une amertume durable et profonde vis-à-vis de son homologue américain sur le dossier syrien. En août 2013, en dépit de ses engagements publics, Barack Obama avait renoncé in extremis à des frappes aériennes contre le régime Bachar Al-Assad malgré l’utilisation d’armes chimiques contre des populations civiles dans la banlieue de Damas. Mais, au-delà de cet épisode marquant, la France a pu compter sur un soutien militaire sans faille de la part de l’allié américain, notamment sur le continent africain.

« Contribution active »

Ainsi, aspect méconnu de cette alliance, Washington a donné un sérieux coup de pouce à la France au début de l’opération « Sangaris », début 2014, en Centrafrique, comme le souligne aujourd’hui un haut responsable français. Aux prises avec des difficultés mal anticipées sur le terrain, l’ancienne puissance coloniale cherchait alors à accélérer le déploiement d’une force africaine chargée de monter en première ligne à Bangui. « Les Américains ont notamment apporté une contribution active dans le transport de troupes de la région afin de renforcer la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) », confie aujourd’hui ce responsable français. Composée de contingents issus majoritairement de pays de la région, cette force dépêchée par l’Union africaine allait constituer l’ossature de l’actuelle force onusienne, la Minusca, toujours déployée sur le terrain.

Avec Barack Obama, la France savait donc pouvoir compter en Afrique sur un dirigeant déterminé dans la lutte anti-terroriste, mais aussi attaché à l’action multilatérale dans le cadre de l’ONU. Durant son double mandat, les Etats-Unis ont consciencieusement soldé tous leurs arriérés vis-à-vis des Nations unies, et payé rubis sur l’ongle leur quote-part : 27 % du budget des opérations de maintien de la paix (OPM), tout de même. A comparer avec celle de Paris, fixée à 7 %.

Si Donald Trump ne va probablement pas renverser la table du jour au lendemain, y compris vis-à-vis de l’ONU, « il sera probablement plus difficile d’obtenir son soutien pour d’éventuelles OMP sur le continent africain », s’inquiète-t-on déjà à Paris. Quoi qu’il en soit, l’énième annonce de la mort de Mokhtar Belmokhtar tombe à point nommé pour faire passer ce message à l’adresse du « président élu » : en Afrique, la coopération franco-américaine dans la lutte anti-terroriste, ça marche !

Ancien journaliste chargé de l’Afrique et des questions de défense à Libération, Thomas Hofnung est chef de rubrique à TheConversation.fr. Il est l’auteur de La Crise ivoirienne (éditions La Découverte, 2011).