L’autoroute A7, qui relie Lyon à Marseille, ici le week-end du 6 août. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

« Je ne suis pas un procureur, je ne cite que des chiffres. » Bernard Roman, le nouveau président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), ne veut pas raviver la polémique opposant des sociétés d’autoroutes à la santé florissante à des automobilistes piégés par des hausses des prix des péages.

C’est pourtant ce qui ressort de la première synthèse des comptes des concessionnaires publiée, mardi 6 décembre, par l’autorité indépendante depuis sa nomination, le 20 juillet. Avec d’un côté des dividendes qui font plus que doubler et de l’autre des tarifs grimpant plus que prévus, avec l’approbation du gouvernement.

Voulant « éclairer les décideurs publics » et informer les usagers, l’Arafer a analysé les conséquences du gel des tarifs de 2015. Et surprise, cette mesure censée bénéficier aux automobilistes aura finalement l’effet inverse : le surcoût lié au rattrapage est estimé à 500 millions d’euros sur les vingt ans qui viennent, jusqu’à la fin des concessions.

Les parlementaires tenu à l’écart

Pour faire pression sur les concessions autoroutières, dont le niveau élevé de profits avait été dénoncé par l’Autorité de la concurrence, le gouvernement décidait de bloquer pour un an les prix des péages des sept sociétés historiques : ASF, Escota, Cofiroute, APRR, Area, Sanef et SAPN. Telle était la condition imposée par Ségolène Royal, la ministre de l’environnement, pour débloquer le plan de relance de 3,2 milliards d’euros proposé et financé par les concessionnaires.

Après sept mois de bras de fer, un accord était trouvé en avril 2015. La durée des concessions était prolongée de deux ans et demi et des hausses spécifiques des tarifs entre 2019 et 2023 décidées pour compenser le manque à gagner du gel de 2015. Dans son rapport, l’Arafer note :

« Ce rattrapage sur cinq ans se traduit par une augmentation des péages supérieure à celle normalement prévue au 1er février 2015 : + 0,23 % à + 0,82 % selon les concessionnaires. Au final, les usagers paieront 500 millions d’euros (…) pour compenser le coût de décalage de perception des recettes de péages par les concessionnaires. »

Cela s’apparente plus à une surcompensation qu’à une compensation.

Pour parvenir à ce résultat, l’Arafer a bâti son propre scénario, « l’Etat ayant refusé de communiquer les hypothèses de taux utilisés pour conclure cet accord », précise-t-elle. « Je l’accepte difficilement », insiste M. Roman, ancien député socialiste du Nord. « Si j’étais encore parlementaire je ne serais pas très satisfait », d’autant plus que députés et sénateurs n’ont pas eu connaissance du protocole d’accord.

Si le ministère des transports n’a rien communiqué, les sociétés d’autoroutes se sont montrées plus coopérantes avec l’Arafer. Elles ont indiqué que les fourchettes négociées avec l’Etat à l’époque seraient légèrement inférieures à celles calculées par l’autorité.

Des dividendes qui ont « plus que doublé »

Malgré ce blocage des prix, l’année 2015 a été lucrative pour les concessions. Le chiffre d’affaires a progressé de 2,5 %, à 9,4 milliards d’euros, et le bénéfice de 16,5 %, à 2,2 milliards. Le rallongement des concessions a conduit à un étalement des amortissements et à une amélioration du résultat d’exploitation.

« Les flux de trésoreries opérationnels dégagés ont permis de distribuer aux actionnaires des dividendes dont le montant a fait plus que doubler », relève l’Arafer. Ceux-ci ont en effet progressé de 127,5 %, à 3,3 milliards en 2015, et sont supérieurs au bénéfice du secteur.

Selon l’autorité, cela traduit « des choix de politique de financement qui dépassent le cadre d’analyse de la présente synthèse ». Pour Bernard Roman, « il ne s’agit ni de jeter la pierre aux sociétés concessionnaires ni au gouvernement », simplement d’exposer les données au nom de la transparence. « L’indépendance nous le permet », ajoute-t-il, s’inscrivant ainsi dans le sillage de son prédécesseur, Pierre Cardo.