L’enquête se poursuit, une semaine après la fermeture du très populaire et rentable Zone Téléchargement, un site permettant de télécharger directement du contenu protégé par le droit d’auteur. L’avocat toulousain Simon Cohen va défendre les deux jeunes gens de 24 ans interpellés et placés en détention provisoire : Thibault F., mis en examen pour « contrefaçon », « travail dissimulé » et « blanchiment », le tout sous le qualificatif de « bande organisée » ; et Wilfrid D., qui devrait être extradé d’Andorre dans les jours à venir et se verra signifier les mêmes accusations.

Dans un entretien au Monde, Simon Cohen, ténor du barreau toulousain, appelle à une « graduation des réponses judiciaires » face à un phénomène qu’il considère comme minime par rapport aux sites de propagande terroriste ou pédophile.

Quel est le profil des deux personnes mises en cause ?

Ce sont deux jeunes gens brillants, intelligents, passionnés des réseaux et des nouvelles technologies. Ils sont tous deux originaires de Toulouse et ont fait leurs études dans l’informatique. Thibault, qui assume la « matérialité des faits », c’est-à-dire sa responsabilité, était l’administrateur et le directeur économique et financier de Zone Téléchargement.

Wilfrid, qui doit être entendu cette semaine après son extradition, qu’il a acceptée, s’occupait plus du volet technique. Contrairement à ce qui a été dit, ils ont bien monté une société en 2014 pour lancer le site, avec expert-comptable et déclaration fiscale. La société est d’ailleurs en redressement fiscal actuellement. Elle était donc connue des services, et ils n’ont tous les deux aucun antécédent judiciaire.

Comment expliquent-ils leur dérive ? Il s’agit tout de même de sommes importantes, on parle de 450 000 euros en liquide retrouvés, de comptes à Malte, de Jaguar achetées…

Leur aventure est surtout technologique. Au départ ils ne pensaient pas du tout détourner de l’argent. A la fin de 2013, ils ont l’idée d’inventer un « raccourcisseur » de liens de téléchargement [DL-protect, qui servait d’outil d’anonymisation sur le site], ils créent leur société à cette époque, alors qu’ils sont encore étudiants.

Avec près de 3,4 millions de visites sur le site par mois, qui permet de télécharger films ou musiques, ce sont les publicitaires qui vont alors les rémunérer. Ce ne sont pas Thibault et Wilfrid qui ont créé le préjudice, ce sont les utilisateurs : va-t-on tous les mettre en prison ? Quant au fantasme sur des comptes offshore, du liquide partout, c’est faux. Attendons les suites de l’enquête et vous verrez que tout cela fera vite pschitt…

Les peines pourraient être très lourdes, on parle de sept ans d’emprisonnement et d’amendes importantes…

Je veux d’abord dénoncer la décision inacceptable de les placer en détention provisoire. On n’emprisonne pas l’intelligence ! Depuis 2000, le législateur porte atteinte à la présomption d’innocence. Implicitement, en correctionnelle, les juges sont guidés par la notion de trouble à l’ordre public. Je veux tout de même signaler que le lendemain de leur interpellation, le site, même si les liens de téléchargement ne fonctionnaient plus, est réapparu…

Thibault pense qu’ils ont été eux aussi piratés. Cela prouve le flou total qui entoure ces systèmes aujourd’hui. Selon moi, il faudra des réponses graduées. Que fait-on avec des sites de propagande terroriste ou de diffusions d’images pédophiles ? Ici, on parle de millions de jeunes qui téléchargent juste de la musique ou des films. Que diraient Brassens, Brel ou Ferré s’ils voyaient ces jeunes en prison ?

La Sacem, qui est à l’origine de la plainte, évoque tout de même un manque à gagner de 75 millions d’euros pour les auteurs et les artistes concernés…

La Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique] engrange chaque année des milliards d’euros. C’est une petite plaie d’argent dans la blessure du manque à gagner. Pensons d’abord aux jeunes qui peuvent voir ces films, et je n’entends pas beaucoup d’artistes qui se plaignent ou qui portent plainte eux-mêmes. Si Zone Téléchargement crée un précédent, alors qu’il est le 32e site le plus visité en France et le 961e dans le monde, va-t-on là encore mettre tout le monde en prison ?

Je le répète, la question fondamentale est d’apporter une réponse judiciaire graduée et de « judiciariser » réellement les infractions quand elles sont avérées. A mon avis, l’information judiciaire en cours sera longue et j’attends avec impatience la confrontation et les auditions de Thibault et Wilfrid.