Des demandeurs d'asile soudanais prennent un cours de français dispensé par des citoyens bénévoles, le 1er décembre 2016, dans une salle de la mairie de Cancale. | OLIVIER LABAN-MATTEI / MYOP POUR "LE MONDE"

Ici, à Cancale (Ille-et-Vilaine), il y a la structure officielle. Le centre d’accueil et d’orientation (CAO) a, depuis fin octobre, pris en charge une cinquantaine de Soudanais, issus de la « jungle » de Calais, et constitue un lieu important afin de « permettre aux personnes migrantes sans abri de bénéficier d’un temps de répit et d’engager, si elles le souhaitent, une démarche de demande d’asile », comme l’indiquait un communiqué du ministère du logement, publié début août.

Mais il y a aussi ces « énergies hospitalières », comme les qualifie l’anthropologue Michel Agier. Tout aussi essentielles pour la reconstruction de ces hommes, à travers la solidarité de proximité qu’elles leur procurent. Et, sur ce point, à Cancale, on s’est mobilisé. Avec foi et discrétion. Depuis leur départ de la « jungle », outre les tâches quotidiennes dont ils s’acquittent au CAO, les exilés – pour ceux qui le souhaitent – se voient proposer des activités par un collectif d’habitants, en plus de celles offertes par des associations pérennes, comme Le Secours catholique ou La Main tendue.

Six jours sur sept, dans une salle municipale, se tiennent ainsi des cours d’alphabétisation et d’apprentissage du français d’une durée d’une heure. Pour y assister, les migrants se sont constitués en groupes de dix, assidus, conscients d’« être gâtés ». « Ils sont demandeurs, très impliqués », dit Bénédicte, l’une des bénévoles, dont la préoccupation est qu’ils se débrouillent dans la vie quotidienne, « faisant au mieux » avec les disparités de niveaux et les problèmes de phonétique rencontrés par des arabophones dans la pratique du français.

« On devine la dureté de ce qu’ils ont vécu. Ils sont très chaleureux », relève Lydia, qui raconte qu’après avoir pris connaissance de leur arrivée dans la presse locale, elle a « eu envie de donner un coup de main, de faire quelque chose à côté de chez » elle. Un engagement qu’elle ne regrette pas. En témoignent, jeudi 1er décembre, ces exilés qui, sur le chemin du retour au CAO, répètent en souriant les phrases « J’ai bien travaillé » et « Qu’est-ce que tu veux ? », apprises un peu plus tôt.

Un demandeur d'asile érythréen salue un habitant de Cancale après leur match de ping-pong, le 1er décembre 2016 dans un gymnase de Cancale, lors d'une séance organisée par une association de bénévoles venant en aide aux réfugiés. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

« Cela rappelle les amis, la famille »

Des activités sportives (football, ping-pong, tir à l’arc…) sont également proposées, ou encore quelques sorties. Elles sont pratiquées avec les adhérents de l’amicale laïque : « C’est dans nos gènes », lance, dans un large sourire, le secrétaire général de l’association à Cancale, Jacques Garot, « on a tout de suite mis nos moyens à disposition ».

S’ajoute à cela le vestaire du Secours catholique, les jeudis après-midi. La quinzaine de bénévoles de l’association ont spécialement ouvert, le temps de la présence des migrants – même si elle s’adresse aussi aux Cancalais qui le souhaitent. En ce jeudi 1er décembre, ils sont ainsi plusieurs à attendre leur tour, autour d’un café, avant de pouvoir choisir et emporter quelques vêtements, chaussures, etc., issus de dons de particuliers, d’entreprises et du réseau du Secours catholique d’Ille-et-Vilaine.

Des demandeurs d'asile soudanais choisissent des vêtements pour l'hiver dans le local du Secours catholique de Cancale, le 1er décembre 2016. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Rires et chants soudanais retentissent soudain dans la chaleureuse petite pièce de l’accueil. Bernard Léchevin, le responsable du lieu, vient de faire passer sa guitare de main en main. Pour un bref moment de convivialité. « Cela rappelle les amis, la famille », explique pudiquement Samir. Mais « ils ne parlent jamais de ce qu’ils ont vécu », observe M. Léchevin.

Des demandeurs d'asile soudanais attendent leur tour dans une petite pièce du local du Secours catholique de Cancale, le 1er décembre 2016, lors d'une distribution de vêtements et de produits d'hygiène. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Une longue tradition d’entraide

Des initiatives personnelles voient aussi le jour : comme cette invitation à un couscous, lancée par des restauratrices, ou cette participation à un atelier peinture, proposée par une artiste. Le petit port breton (5 300 habitants) possède, il est vrai, de longue date une tradition d’entraide, comme souvent sur ces côtes qui vivent de la mer et où le travail est rude.

Un collectif d’habitants actifs et solidaires s’est créé lors de l’installation d’un premier CAO temporaire, au printemps, à l’issue d’une réunion publique en mairie l’hiver dernier, qui avait été houleuse : une conseillère régionale frontiste s’était opposée à l’accueil des migrants et avait été huée par une partie de l’assemblée.

Aujourd’hui, ce collectif « regroupe une centaine de bénévoles », rapporte André – à l’origine avec David de cette initiative (qui ne souhaitent pas donner leurs noms) –, encore épaté du succès rencontré par cette initiative qui intègre aussi des interprètes, dont cinq arabophones. « Parmi ces bénévoles, il y a beaucoup de retraités mais aussi quelques lycéens ou encore des actifs qui aident le samedi », dit David. Jacqueline, qui vient de Saint-Malo, salue « la modestie, la générosité et la discrétion » de ces bénévoles.

Pour autant, l’accueil des migrants ne plaît pas à tout le monde. « Je ne vois pas ce qu’ils font là, ce ne sont pas des Syriens, leur pays n’est pas en guerre », déclare une habitante, qui estime que leur présence lèse les Français.

Mais, globalement, la présence des exilés est plutôt bien acceptée par la population. La première expérience de CAO, au printemps, s’est bien passée. « L’accueil a été simple », « les commerçants ont participé à des actions : certains ont offert des cahiers ou encore des photocopies, raconte David, les élus et la population étaient majoritairement satisfaits ». « “Si tout se passe bien, pourquoi pas ?”, entend-on la plupart du temps », rapporte l’adjointe aux affaires sociales de la mairie UDC, Suzanne Mainguy, pour qui « il n’y a jamais eu de plaintes », car « la politique sociale de la ville est lisible ». La mairie (UDC) les avait anticipées en expliquant que « cela ne changerait rien à la politique sociale de proximité ».