L’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac, à sa sortie du tribunal, jeudi 8 décembre. | PHILIPPE LOPEZ / AFP

Le suspense a été de courte durée. Une heure à peine après que le tribunal eut prononcé la condamnation de Jérôme Cahuzac à trois ans de prison ferme et cinq ans d’inéligibilité pour fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale et omission de déclaration de son patrimoine, son avocat, Jean Veil, a annoncé que l’ancien ministre faisait appel de cette condamnation. Il espère donc obtenir une décision plus douce, la prison n’étant pas, selon lui, « une sanction adaptée ». L’appel étant suspensif, Jérôme Cahuzac est libre, le tribunal n’ayant pas demandé de mandat de dépôt à l’audience.

Cette peine d’incarcération « non aménageable » constitue pourtant le cœur du jugement du tribunal, qui a suivi exactement les réquisitions de la procureure Eliane Houlette. La responsable du parquet national financier (PNF) avait en effet mis en garde les juges contre les différences de traitement entre délinquance de droit commun et délinquance en « col blanc » en soulignant qu’elles nourrissent « le sentiment d’exclusion ressenti par certains », favorisent « les comportements de rupture » et « propage l’idée qu’il existe une impunité des puissants » alors que, soulignait-elle, la fraude fiscale est « l’acte antisocial par excellence ».

Circonstances aggravantes

Le tribunal partage cette appréciation qui relève, dans son jugement, la « rare et exceptionnelle gravité » des faits reprochés à Jérôme Cahuzac, compte tenu de la durée de la fraude et surtout des fonctions qu’il a exercées – député, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et ministre du budget. Il souligne notamment que, dans ces dernières fonctions, Jérôme Cahuzac « incarnait la politique fiscale de la France » et « était le garant de l’application des trois principes constitutionnels d’égalité devant l’impôt, qui fonde le consentement à l’impôt, de lutte contre la fraude fiscale et de lutte contre l’évasion fiscale ».

Parmi les circonstances aggravantes, le tribunal retient qu’« aucune de ses fonctions, aucun événement extérieur, aucune alerte n’ont conduit Jérôme Cahuzac à cesser ses agissements » et souligne au contraire que son « souhait de dissimulation et d’opacité est allé croissant avec l’importance de ses fonctions politiques ». S’il évoque les « mensonges » réitérés de l’ancien ministre, dont le fameux démenti qu’il avait opposé aux révélations de Mediapart face à l’Assemblée nationale, le tribunal observe toutefois qu’« il ne lui appartient pas de [les] sanctionner de manière particulière » mais de « prendre en considération ce que cette attitude révèle de la personnalité » de Jérôme Cahuzac et de sa « prise de conscience tardive ».

Un jugement sans adjectifs inutilement blessants

Avec la même économie de mots, le jugement écarte l’argument de défense surprise que Jérôme Cahuzac avait présenté au premier jour de son procès, selon lequel le compte qu’il avait ouvert en Suisse était à l’origine destiné à assurer le financement occulte du mouvement politique de Michel Rocard. « Si la seule nouveauté de ces déclarations n’est pas suffisante, en soi, pour en déduire, nécessairement, leur éventuel caractère mensonger, le tribunal ne dispose, au final, d’aucun élément tangible et déterminant permettant, soit de confirmer ces propos, soit de les infirmer », observe le tribunal en soulignant que dès lors « elles ne peuvent, en conséquence, être tenues pour établies ».

Il ajoute simplement que « faute de précisions permettant de les étayer », ces déclarations peuvent « apparaître comme altérant injustement la mémoire de l’ancien premier ministre Michel Rocard au détriment des institutions de la République » en « jetant sur elles le discrédit et la suspicion ».

En faisant appel de cette décision, Jérôme Cahuzac exerce son droit de prévenu le plus strict. Il compte sans doute vérifier à son profit l’adage selon lequel l’émotion l’emporte en première instance, le droit en appel. Mais la tonalité du jugement, sans adjectifs inutilement blessants et humiliants, lui retire déjà un argument. Le tribunal, présidé par Peimane Ghaleh-Marzban, a marqué une opportune distinction entre ce qui relève de son rôle – la fermeté de la condamnation pénale – et ce qui ressort de l’opinion publique, la condamnation morale déjà largement acquise. Ce n’est pas si fréquent dans les décisions de justice et cela donne plus de force à celle qui a été prononcée par le tribunal correctionnel de Paris.

A Jérôme Cahuzac d’affronter, devant la cour d’appel, l’image d’un homme qui face à la justice se comporte comme l’élu, le ministre convaincu de mensonges et de fraude qu’il a été et qui a espéré jusqu’au bout ne pas avoir à l’assumer.