La tour Eiffel, à Paris, le 5 décembre. | THOMAS SAMSON / AFP

Après trois ans de rebondissements et de tractations, l’Union européenne est enfin dotée de nouvelles normes visant à réduire la pollution. La Commission, le Conseil et le Parlement ont fini par s’entendre sur la teneur de la nouvelle directive européenne sur la qualité de l’air. Et ce alors que des conditions anticycloniques très marquées plongent dans un smog de pollution aiguë de nombreuses villes européennes, les contraignant, notamment en France, à prendre des mesures d’urgence.

Après avoir été voté à une large majorité, le 23 novembre, l’accord a été formellement adopté par le Conseil jeudi 8 décembre. La nouvelle directive a été approuvée par vingt-deux Etats membres, la Pologne, le Danemark, la Lituanie, la Roumanie, la Hongrie ayant voté « contre » et la Croatie s’étant abstenue. Mais tous sont tenus de la transposer dans leur droit national et de l’appliquer.

Ce nouveau texte législatif concerne la révision de la directive air de 1999, qui fixe les plafonds nationaux d’émissions pour les principaux polluants générés par l’industrie, les transports, l’énergie et l’agriculture. Présenté en décembre 2013 par la Commission Barroso, il prévoit des seuils d’émission plus stricts avec des objectifs à l’horizon de 2025 et 2030. Et il étend la liste des polluants concernés aux particules fines PM 2,5 (d’un diamètre inférieur à 2,5 microns), notamment émises par les moteurs diesel et particulièrement dangereuses pour la santé.

« Loin d’être suffisant »

« Cette nouvelle législation est un pas en avant, parce qu’elle fixe de nouveaux plafonds plus contraignants pour les polluants atmosphériques les plus nocifs, ce qui va obliger les pays de l’Union à prendre de nouvelles mesures. Toutefois, elle aurait pu être beaucoup plus ambitieuse », souligne Louise Duprez du Bureau européen de l’environnement (BEE), groupe d’ONG influent.

Le durcissement des mesures antipollution doit permettre de réduire, d’ici à 2030, d’un peu moins de la moitié (49,6 %) l’impact sanitaire de la pollution de l’air par rapport à ce qu’il était en 2005. Ce qui est « loin d’être suffisant » pour le BEE comme pour le Réseau Action Climat (RAC) et France Nature Environnement (FNE). « Même après la pleine application de la directive, en 2030, autour de 250 000 Européens seront encore susceptibles de mourir chaque année prématurément à cause de la pollution atmosphérique », insiste Mme Duprez.

Selon le dernier rapport sur la pollution de l’air de l’Agence européenne de l’environnement, publié le 23 novembre, les concentrations en particules fines étaient encore responsables en 2013 de 467 000 morts prématurées en Europe.

Efforts limités pour l’agriculture

Défendant une position bien moins ambitieuse que celle affichée dans le projet initial, les représentants des gouvernements se sont attachés à freiner les velléités de la Commission et du Parlement. Et ils ont obtenu en particulier que soient sensiblement limités les efforts demandés aux agriculteurs. Ainsi, alors que la Commission souhaitait aussi ajouter le méthane à la liste des polluants donnant lieu à des plafonds d’émission, les Etats ont insisté pour qu’il soit exclu du champ de la directive. Et pour bon nombre de pays, l’accord revoit à la hausse les seuils d’émissions d’ammoniac, un polluant qui provient à 93 % des engrais ainsi que du stockage et de l’épandage des lisiers utilisés par l’agriculture.

La France, qui devait initialement réduire ses émissions d’ammoniac de 23 % d’ici à 2030, ne doit finalement les réduire que de 13 %. L’Allemagne, la Grèce, l’Italie, la Hongrie, le Danemark, la Slovénie, la Slovaquie, le Royaume Uni, entre autres, ont aussi plaidé en ce sens et obtenu de réduire entre 6 et 13 points leurs objectifs.

« Le retrait du méthane, qui n’a encore jamais été ciblé en tant que tel dans aucune réglementation, est déplorable. Ce polluant participe pourtant à la constitution de l’ozone dans l’atmosphère, qui a des impacts économiques lourds sur les productions agricoles qu’il détruit », ne décolère pas Charlotte Lepitre, de FNE. « L’Union a perdu une occasion de lutter contre le changement climatique tout en réduisant la pollution, déplore, elle aussi, Cyrielle Denhartigh, du RAC. Car le méthane est un gaz à effet de serre, de même que le protoxyde d’azote, émis par les épandages d’engrais. »

Les seuils d’émission de PM 2,5 ont été aussi fortement rehaussés. Plus des deux tiers des Etats membres ont sensiblement réduit leurs objectifs de baisse de ces particules fines qui sont pourtant particulièrement nocives pour la santé.

Objectifs flexibles

« L’ensemble de ces modifications à la hausse des valeurs limites, par rapport à la proposition initiale de la Commission, représente au moins 12 000 morts prématurés, déplore Louise Duprez. Les Etats semblent plus inquiets de se retrouver en infraction que soucieux de lutter contre la pollution. » Les ministres de l’environnement se sont de fait attachés à limiter au maximum la contrainte. Ils ont ainsi prévu que les objectifs puissent être flexibles, c’est-à-dire ajustables en cas d’imprévu. Par exemple si les progrès technologiques réalisés sur les filtres à particules des voitures n’apportaient pas les performances souhaitées, les Etats pourraient échapper à la procédure d’infraction de la Commission.

Les gouvernements peuvent également compenser une réduction insuffisante sur un polluant par une baisse d’émissions dépassant les objectifs sur d’autres. « Et l’objectif intermédiaire à 2025 n’est qu’indicatif, et non contraignant, relève encore Charlotte Lepitre. Ce qui ne va pas inciter les Etats à mettre en œuvre rapidement les mesures nécessaires pour l’atteindre. »

La nouvelle directive somme toutefois les Etats membres de présenter à la Commission, d’ici mars 2019, un plan de lutte contre la pollution, montrant comment ils entendent atteindre les nouveaux objectifs. Ces plans devront être mis à jour régulièrement et s’appuyer sur des consultations publiques.