L’opposant kazakh Moukhtar Abliazov, détenu par la France depuis trois ans et demi, est libre. Quelques heures après l’annulation par le Conseil d’Etat, vendredi 9 décembre au soir, du décret d’extradition vers la Russie qui le visait, l’ancien homme d’affaires a quitté la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), accueilli par sa famille.

La surprise est immense, y compris pour les défenseurs de cet ancien oligarque devenu la bête noire du régime de Noursoultan Nazarbaïev. Allant à l’encontre de toutes les décisions judiciaires rendues dans ce dossier, le Conseil a estimé que « l’extradition vers la Russie de M. Abliazov a été demandée dans un but politique » et qu’elle ne pouvait donc pas légalement être accordée.

Le Conseil d’Etat relève aussi que « la procédure d’extradition a fait l’objet d’une concertation réitérée entre les autorités russes et kazakhes au cours de l’instruction », confirmant les arguments avancés tout au long de la procédure par les avocats du Kazakh, ainsi que par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme. Celles-ci accusaient la justice russe d’agir pour le compte du Kazakhstan, allié de la Russie, et craignaient que l’homme d’affaires soit ensuite remis à Astana ou que sa vie soit menacée à Moscou.

Un avis partagé par les Nations unies, qui, par la voix de leur rapporteur spécial sur la torture, Nils Melzer, avaient appelé mercredi la France à « s’abstenir d’extrader un individu vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture ».

« Chasse à l’homme »

Formellement, la justice russe – mais aussi son homologue ukrainienne – reprochait à l’ancien patron de la banque d’affaires BTA des détournements de fonds s’élevant à plusieurs milliards d’euros. M. Abliazov, que Le Monde avait rencontré en décembre 2015 à Fleury-Mérogis, dénonçait dans ces poursuites une « chasse à l’homme » menée par Noursoultan Nazarbaïev, l’autoritaire président du Kazakhstan, dont il fut un allié avant de devenir un opposant farouche.

Plusieurs pays européens avaient aussi semblé accréditer cette thèse en refusant d’extrader plusieurs de ses proches, et le Royaume-Uni lui avait accordé le statut de réfugié politique. En France, partenaire commercial privilégié du Kazakhstan, les tribunaux étaient restés sourds à ces arguments.

L’arrêté du Conseil d’Etat sonne aussi comme un désaveu pour l’ancien premier ministre Manuel Valls et l’ancienne ministre de la justice Christiane Taubira, qui avaient tous deux validé cette extradition, en septembre 2015. Dans ses recommandations, la rapporteuse publique, Béatrice Bourgeois-Machureau, a souligné que le Conseil d’Etat n’avait annulé une demande d’extradition pour un motif politique qu’une seule fois. C’était en 1977, et la demande concernait un opposant au régime de Franco.