Evacuation de civils des quartiers Est d’Alep, le 8 décembre. | SANA / REUTERS

La bataille d’Alep approche de son dénouement. Alors que les troupes progouvernementales se sont emparées de plus de 80 % des quartiers rebelles, des tractations sont en cours, entre diplomates russes, américains et turcs, pour permettre l’évacuation des civils et des combattants, retranchés dans un dernier carré, dans le sud de la métropole.

Bien que leurs représentants affichent en public leur détermination à résister, les rebelles, à bout de force après trois semaines de bombardements qui ont fait des centaines de morts et conscients qu’ils n’ont plus aucun moyen de renverser la situation, sont prêts à quitter la partie orientale de la ville, qu’ils avaient conquise à l’été 2012.

« Ils savent qu’Alep est perdue, explique Basel Al-Junaidy, un analyste syrien basé dans le sud de la Turquie et en contact étroit avec l’opposition armée. Ils ne le disent pas haut et fort, pour des questions d’honneur. Mais ils ont demandé à leurs dirigeants à l’extérieur de négocier leur départ. »

8 500 civils évacués

Les modalités de cette opération, forcément délicate, font l’objet d’intenses discussions entre John Kerry, patron de la diplomatie américaine pour encore quelques semaines, et son homologue russe, Sergueï Lavrov. Les deux hommes se sont entretenus à deux reprises, mercredi 7 et jeudi 8 décembre, en marge de la réunion de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), à Hambourg.

« Ils sont tombés d’accord pour continuer de discuter de la mise sur pied d’un cadre pour un cessez-le-feu et plus précisément de l’acheminement de l’aide humanitaire et de la possibilité que les gens puissent quitter Alep en sécurité », a expliqué un diplomate américain.

Pour permettre l’ouverture de couloirs d’évacuation à peu près sûrs, Moscou tente d’obtenir de Damas une suspension de ses bombardements sur les quartiers Est. Annoncée par M. Lavrov, jeudi soir, depuis Hambourg, cette pause tarde à se concrétiser sur le terrain, puisque vendredi matin, des sources, jointes à l’intérieur d’Alep-Est, faisaient état de la poursuite des raids aériens et des bombardements.

Malgré tout, près de 8 500 civils ont pu être évacués jeudi, selon l’agence russe TASS. Même si des dizaines de milliers de civils sont parvenus ces deux dernières semaines à rejoindre la partie ouest d’Alep, sous contrôle gouvernemental, à au moins deux reprises, des groupes tentant de fuir les combats ont été bombardés par l’artillerie et l’aviation syrienne.

Washington, de son côté, a pris langue avec les groupes armés d’Alep affiliés à l’Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de l’insurrection. « Les Américains leur ont dit qu’il leur fallait évacuer la ville, qu’ils leur garantissaient des corridors de sortie, pour eux et leur famille, et qu’il n’y avait pas d’autre solution », assure Sinan Hatahet, un autre analyste syrien, en lien avec les rebelles.

Difficile de savoir quand ces tractations pourraient aboutir. Jan Egeland, chargé du volet humanitaire de la crise syrienne aux Nations unies, a affiché jeudi son pessimisme, en affirmant que Washington et Moscou ont des positions « diamétralement opposées ». Les discussions pourraient buter sur le lieu de réinstallation des rebelles.

Risques d’arrestation

Selon nos informations, les groupes armés liés à l’ASL, qui forment le gros des combattants d’Alep, préféreraient être transférés dans la campagne au nord de la ville, une zone où l’ASL est encore dominante. Dans les précédents cas d’évacuations, notamment celles menées dans la Ghouta, la banlieue agricole de Damas, les anti-Assad ont toujours été conduits dans la province d’Idlib, une région placée sous la coupe du front Fatah Al-Cham, une émanation d’Al-Qaida.

La poursuite des bombardements sur Alep, en dépit de l’annonce de M. Lavrov, conduit aussi à se demander si le régime syrien est véritablement disposé à laisser les rebelles sortir vivants ou du moins libres d’Alep. Dans une interview accordée jeudi au quotidien damascène Al-Watan, le président Bachar Al-Assad ironisait sur l’empressement des Américains à vouloir sauver « leurs agents, les terroristes ». « Le régime a le dessus, rien ne peut arrêter l’avancée de ses troupes, faisait remarquer vendredi matin une source onusienne. Il n’est pas impossible que ce soit la guerre jusqu’au bout. »

Une crainte partagée par les casques blancs. Dans un communiqué diffusé jeudi, cette organisation de secouristes civils opérant à Alep-Est, qui figurait parmi les candidats au prix Nobel de la paix, a mis en garde contre les risques d’arrestation et d’« exécution ou de torture » de ses membres, s’ils ne sont pas évacués « dans les quarante-huit heures ».