Les observateurs internationaux ont alerté, le 2 décembre, qu’environ 600 000 personnes pourraient être laissées sans eau et sans chauffage en Ukraine orientale. | OLEKSANDR RATUSHNIAK / AFP

Le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), rendu public jeudi 8 décembre, met en évidence la persistante violation des droits humains et des accords de paix de Minsk de part et d’autre de la ligne de front dans l’Est ukrainien, malgré une accalmie dans le conflit.

Dans le document, un habitant des zones contrôlées par les rebelles prorusses témoigne : « J’ai peur de parler. Je ne sais plus en qui je peux avoir confiance. » Comme beaucoup. Le règne de l’arbitraire et de l’impunité sévit en Ukraine de l’Est, où les territoires sont disputés entre loyalistes pro-Kiev et séparatistes prorusses. Des deux côtés de la ligne de front qui sépare les belligérants, la situation s’enlise, les combats se poursuivent et les conditions de vie demeurent difficiles, selon le texte.

A la lecture du document, qui se base notamment sur 176 entretiens individuels, il apparaît que la plupart des dispositions des accords de Minsk de février 2015 pour rétablir la paix dans la région n’ont pas été respectées, de part et d’autre. Les armes et munitions continuent à affluer vers la ligne de front, causant « de graves violations des droits humains et des lois humanitaires internationales », et les retards pour amnistier certains prisonniers s’accumulent. Surtout, les détentions arbitraires et les disparitions continuent, côté ukrainien comme prorusse.

Si la mortalité a baissé de 13 % entre août et novembre par rapport au rapport précédent, la situation reste précaire. Au total, ce sont 164 victimes civiles qui ont été recensées dans la région pendant le trimestre, pour un total de 32 453 depuis le début du conflit, au printemps 2014, dont 9 733 morts. « En octobre, il y a huit fois plus de victimes civiles dans les zones contrôlées par les groupes armés que dans celles tenues par le gouvernement ukrainien », souligne le rapport, qui désigne par « groupes armés » les différentes factions séparatistes prorusses.

« Cet écart s’explique par la présence des groupes armés dans des zones plus densément peuplées. Mais ces chiffres varient souvent d’un mois sur l’autre, et on ne peut en tirer de conclusion sur un camp ou l’autre du conflit », explique au Monde Benjamin Moreau, adjoint au chef de mission du HCDH.

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Un quotidien pénible

Le quotidien des habitants des zones en guerre a tout d’un calvaire : coupures fréquentes d’eau et d’électricité aux abords de la ligne de front et dans les camps de déplacés, et surtout un « sentiment de peur » qui se généralise à cause de la restriction permanente et « disproportionnée » de certaines libertés. Dans certaines zones, notamment celle revendiquée comme « la République populaire de Louhansk » par le groupe prorusse qui la contrôle, les conduites d’eau ont même été sévèrement endommagées par les bombardements liés au conflit, tandis qu’un village sous contrôle ukrainien n’a plus d’accès à l’eau depuis le printemps.

Autre aspect de ce quotidien difficile, la circulation limitée à l’extrême de part et d’autre des checkpoints, qui complique le déplacement de près de 25 000 personnes par jour aux abords des villes de Donetsk et Louhansk. Le seul motif, imprécis, de « menace à la sécurité nationale », côté ukrainien, donne une vaste marge de manœuvre aux militaires pour refuser l’entrée à quiconque. Les bus n’étant pas autorisés à franchir le no man’s land, de nombreux habitants doivent marcher jusqu’à trois kilomètres pour passer d’un côté à l’autre.

L’arbitraire des forces armées ukrainiennes gérant ces points de passage fait craindre aux auteurs du rapport, témoignages à l’appui, des violences basées sur le genre, des tortures et autres traitements dégradants. Côté séparatiste, les témoignages manquent, mais l’impossibilité de contacter les personnes pouvant être concernées laisse craindre « le pire ».

Préoccupations sur la Crimée

En ce qui concerne la Crimée, la mission onusienne s’inquiète des atteintes aux droits humains qui peuvent avoir lieu sur la péninsule occupée par la Russie depuis 2014. Le recours abusif à une législation anti-extrémiste ou antiterroriste « criminaliserait l’expression d’opinions et de croyances non-violentes », tandis que plusieurs opposants revendiquant l’appartenance de la province à l’Ukraine se font arrêter pour « séparatisme » contre Moscou.

Le rapport mentionne en outre le cas d’un « groupe de sabotage » pro-ukrainien, chargé d’attaquer des infrastructures militaires et civiles à Sébastopol, la capitale de la province, et dont les présumés membres seraient en détention, en violation de la présomption d’innocence. D’autres témoignages évoquent l’absence de soins médicaux apportés à certains détenus et le refus russe d’extrader certains prisonniers ukrainiens depuis les prisons de Crimée.

Quant à la minorité musulmane des Tatars de la péninsule, ils subissent des « intimidations » et des détentions arbitraires, et le Mejlis, leur assemblée représentative, a été qualifiée d’« organisation extrémiste » par la Cour suprême de Crimée – un jugement confirmé en septembre par la cour suprême russe. En réponse, le rapport recommande « d’autoriser les Tatars de Crimée à choisir leurs institutions autochtones ».

Vers une nouvelle escalade du conflit ?

Alors que l’accent avait été mis depuis plusieurs mois sur la nécessité d’apaiser les tensions dans l’est ukrainien, les observateurs constatent un regain des « propos haineux » de la part des officiels, mais aussi sur les réseaux sociaux. Des propos qui ciblent régulièrement les déplacés ou les Roms et qui font craindre des discriminations à leur égard.

« L’apparent manque de volonté des parties du conflit à mettre en œuvre les obligations émanant des accords de Minsk a mis en danger les civils », résume le rapport. En attendant l’ouverture d’un nouveau cycle de négociations, la dernière rencontre entre les ministres des affaires étrangères russe et américain, Sergueï Lavrov et John Kerry, portait essentiellement… sur la Syrie.

Noé Michalon