Simulation de plongée à la Cellule plongée humaine et intervention sous la mer (Cephismer) située sur la base navale de Toulon. | Agathe Charnet

« Avant de plonger, je n’ai pas peur. J’ai toujours hâte de me retrouver sous l’eau. » Yohann (aucun nom de famille n’est mentionné, selon les usages de l’armée) a 22 ans, le bras couvert de tatouages et le geste assuré. Depuis le mois d’août 2016, le voici plongeur-démineur au sein de la marine nationale, un métier d’élite auquel il se prépare depuis plus de quatre ans.

Le jeune homme est donc embarqué à bord du chasseur de mines Orion, un mastodonte gris pétrole de six cent cinquante tonnes qui sillonne actuellement les environs de Toulon. Vêtu d’une combinaison noire et portant sur son dos un recycleur « Crabe » chargé d’assurer son apport en oxygène, Yohann explore une ou deux fois par jour les profondeurs bleutées de la Méditerranée.

Comme les trois cents plongeurs-démineurs de la marine nationale, Yohann assure au quotidien une triple mission : travaux sous-marins et de service public d’une part, mais surtout ­interminable traque des quelque 300 000 mines enfouies au fond des eaux, mortels vestiges de la seconde guerre mondiale. Dans les entrailles de l’Orion, à quelques pas de la chambre du commandant, le tableau de chasse du navire est fièrement affiché : un missile nazi repêché dans la baie de Seine en 1988, une bombe britannique neutralisée en mer d’Iroise en 1989…

« Extrême concentration »

Depuis septembre 2015, six mines au total ont été démantelées par l’équipage de l’Orion. Un périlleux face-à-face entre le binôme de plongeurs et l’arme septuagénaire chargée d’une tonne d’explosif. Les plongeurs, qui peuvent s’immerger jusqu’à 80 mètres, font alors preuve d’une « extrême concentration » et d’une « gestion du risque », comme le rappelle sagement le premier-maître David, alias « Patron », le binôme de Yohann.

« Ici, on progresse, on s’accroche ou on s’en va », Xavier Royer de Véricourt,
responsable du recrutement

Les gestes de la plongée, le fougueux Yohann comme l’avisé Patron ont appris à les maîtriser. Yohann, obsédé depuis l’adolescence par « l’envie de plonger », a suivi une année préparatoire au lycée de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Il a ensuite gravi une à une les étapes menant à la spécialité de plongeur-démineur au sein de la marine nationale : la formation de plongeur de bord, d’une durée de cinq semaines, puis une autre de neuf mois aussi sélective que rigoureuse au Centre d’instruction navale de Saint-Mandrier, à quelques kilomètres de la base navale de Toulon.

Le chasseur de mines « Orion » de la marine nationale en exercice aux environs de Toulon. Agathe Charnet | Agathe Charnet

Yohann a d’ailleurs dû s’y prendre à deux fois avant de valider sa spécialité. Une ténacité qui correspond à ­l’esprit de la marine nationale, martelé par le responsable du recrutement Xavier Royer de Véricourt : « Ici, on progresse, on s’accroche ou on s’en va. » Pour ceux qui ne se feraient pas à la discipline de la vie « embarquée », une quarantaine d’équivalences ont été établies avec l’enseignement secondaire et supérieur, permettant une reconversion valorisée.

Sauvetages en mer

Pour les plongeurs-démineurs, le cœur de l’apprentissage réside dans la gestion des paliers de décompression, des étapes-clés qui permettent d’éviter les accidents générés par une remontée trop rapide à la surface. « A l’école de plongée comme en activité, on forge un grand esprit de camaraderie, affirme avec enthousiasme Cyril, marin depuis dix ans et plongeur-démineur. Sous l’eau, on oublie les grades, on se sauve la vie. »Car passer ses jours sous les mers n’est pas une activité anodine. Sur 250 000 plongées réalisées chaque année par la marine nationale, on recense en moyenne une dizaine d’accidents, dont certains graves.

Afin de réduire les risques, la Cellule plongée humaine et intervention sous la mer (Cephismer), située sur la base navale de Toulon, s’est constituée en laboratoire mondial de la plongée sous-marine. On y pratique notamment des simulations à l’aide d’un caisson hyperbare. L’expertise des marins-plongeurs français est recherchée par les civils mais aussi ­lorsqu’il s’agit d’effectuer des sauvetages en mer ou de retrouver des boîtes noires. Les plongeurs aiment d’ailleurs rappeler qu’ils sont des pionniers dans ces explorations subaquatiques.

Cette fierté est alimentée par les exploits du commandant Jacques-Yves Cousteau et de ses camarades surnommés les « Mousquemers » qui fondèrent la Cephismer en 1945. Leur quête d’espaces vierges et de poissons prodigieux a suscité bien des vocations. Une passion que partage le jeune Yohann : « Moi, je veux toujours plonger. C’est comme ça. »