Dimanche soir devant l’entrée de la cathédrale Saint-Marc, au Caire, un jeune couple se terre dans le silence, une bougie à la main. Comme des centaines d’autres personnes de la communauté copte présentes ce soir, Michaël et Marianne sont venus se recueillir à la mémoire des victimes de l’explosion qui, dimanche 11 novembre au matin, a tué 23 personnes et fait 49 blessés, selon un dernier bilan du ministère de la santé. Certains regards sont rivés sur les bougies ou sur le sol, refusant de voir la moindre trace de débris et de vitres brisées.

Un peu à l’écart, les officiers de la sécurité se font discrets. Il faut éviter tout débordement. Un peu plus tôt, plusieurs centaines de chrétiens, écrasés par le chagrin et mus par la colère, se sont rassemblées non loin de la cathédrale, scandant des slogans hostiles au régime.

La communauté copte égyptienne n’avait pas connu d’attentat aussi meurtrier depuis le 1er janvier 2011, quand une attaque-suicide avait fait plus d’une vingtaine de morts à la sortie d’une église, à Alexandrie.

L’explosion a eu lieu vers 10 heures du matin, pendant la messe dominicale, à l’intérieur de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, contiguë à la cathédrale copte Saint-Marc, siège du pape de l’Eglise copte orthodoxe Tawadros II.

Présentateurs télés conspués par la foule

« Oh Sissi, pourquoi notre église a-t-elle été attaquée ? », a lancé la foule dans l’après-midi à l’adresse du président Abdel Fattah Al-Sissi qui, accuse les manifestants, n’assure pas leur sécurité. « Nous voulons la chute du régime ! », ont même osé réclamer les plus audacieux. Sur les réseaux sociaux, les internautes relayent depuis les chants anti-régime entonnés par la foule dans l’après-midi.

Les autorités ont condamné l’attentat, le président le qualifiant de « lâche » et déclarant trois jours de deuil national. Mais ces paroles ont été insuffisantes pour calmer la foule.

L’Eglise et de nombreux chrétiens sont considérés comme un électorat acquis au régime du maréchal Sissi, qui mène une lutte acharnée contre l’organisation des Frères musulmans. Cependant, les critiques se font croissantes au sein de cette communauté contre ces autorités qui ne font, selon eux, pas assez pour défendre les attaques contre les églises et les chrétiens.

Ce dimanche, la colère l’a donc emporté. Une vieille dame a défié le premier ministre Sherif Ismaïl alors qu’il s’apprêtait à entrer dans la cathédrale pour mesurer l’étendue des dégâts. Deux présentateurs télé dépêchés sur place, vedettes de talk-shows favorables au régime, se sont fait conspuer par la foule et ont été forcés de quitter rapidement les lieux avant d’être agressés. « La seule bonne nouvelle de la journée », raillent les internautes en diffusant les vidéos des sites des quotidiens indépendants Al-Masry Al-Youm et Tahrir News.

Au ministre de l’intérieur qui a proposé d’ouvrir les hôpitaux des forces de police aux blessés, la foule a répondu : « Nous ne voulons pas de votre cadeau Monsieur le ministre de l’intérieur ! » Et d’autres d’ajouter : « Vos policiers sont des voyous ! », en référence à Magdy Makin, un père de famille chrétien torturé à mort le mois dernier dans un commissariat de police du Caire.

« La colère des manifestants est compréhensible, estime Mina Thabet, chercheur spécialiste des minorités à la Commission égyptienne pour les droits et libertés (ECRF). Nous avons toujours été ceux qui paient le prix de l’instabilité politique en Egypte. Les chrétiens ont fait confiance à ce régime mais n’ont pas eu droit à la sécurité en retour. »

« On nous a habitués à ces violences »

Si les attaques de cette ampleur contre les coptes ont été rares au Caire ces dernières années, la Moyenne-Egypte est régulièrement le théâtre de violences, en particulier depuis la chute du président Mohamed Morsi (Frères musulmans) et la prise de pouvoir de Sissi. Selon Human Rights Watch, au moins 42 églises ont été attaquées depuis l’été 2013, ainsi que des dizaines d’écoles, de maisons et de commerces appartenant à des coptes. Les habitants de ces villages réclament justice et protection, mais l’Etat favorise les « séances coutumières » et les agresseurs sont rarement condamnés par la justice.

Près de la cathédrale Saint-Marc, certains fidèles de l’église ont choisi de rester à l’écart du chahut. Michaël tient à exprimer sa solidarité par sa présence mais n’a pas voulu prendre part à la manifestation. « Protester encore ? A quoi bon ? demande-t-il. Je ne ressens même plus de colère. On nous a habitués à ces violences, à cette mise à l’écart. »

A ses côtés, son amie Marianne s’exprime avec plus de véhémence. « On nous dit que nous sommes jeunes, que nous avons la vie devant nous pour changer la société, se moque-t-elle avec amertume. Mais je ne m’attends à rien de bon à l’avenir. En fait, je ne vois aucun avenir pour nous dans ce pays. On veut tout simplement nous rayer de l’espace public ».