Visuel de l’organisation Amnesty International pour demander la libération de Bayram Mammadov et Giyas Ibrahimov. | Amnesty International

Le soir du 9 mai, deux silhouettes se faufilent dans les rues de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. Bayram Mammadov et Giyas Ibrahimov, deux étudiants âgés de 21 et 22 ans, ont décidé de fêter de manière sarcastique l’anniversaire du défunt président du pays, Heidar Aliev (1923-2003), dont le fils, Ilham, est au pouvoir. Sur un monument à l’effigie de l’ancien chef de l’Etat, ils laissent deux inscriptions – « Joyeuse fête de l’esclavage » et « Nique le système » –, accompagnées d’un graffiti anarchiste.

Une publication anonyme sur Facebook pour diffuser la photo de leurs actions va les envoyer en prison pour dix ans. Baryam Mammadov a été condamné jeudi 8 décembre, un mois et demi après son camarade Giyas Ibrahimov.

Emmenés au poste de police, ils ont été passés à tabac. A leur surprise, les deux militants, qui appartiennent au mouvement pour un changement démocratique non-violent NIDA – « exclamation » en azéri – ne sont pas poursuivi pour leur graffiti, mais pour détention de stupéfiants. Ils nient en bloc. Ce serait, selon eux, la police qui aurait placé à leurs domiciles quatre kilos d’héroïne chacun, découverts ensuite lors d’une perquisition, afin d’avoir un motif plus sévère à leur reprocher.

Amnesty International dénonce « une manœuvre consternante ». Au poste, « les policiers ont demandé à plusieurs reprises aux militants de s’excuser publiquement d’avoir insulté Heidar Aliev et les ont frappés lorsqu’ils ont refusé. Ils les ont également forcés à nettoyer les toilettes du commissariat et les ont filmés pendant qu’ils le faisaient, dans le but de les humilier », peut-on lire sur le site d’Amnesty International.

« J’ai été obligé de faire des aveux »

L’acharnement ne s’arrêterait pas là. « Ils m’ont ôté mon pantalon et menacé de me violer avec une matraque. (…) J’ai été obligé de faire des aveux et de signer une déclaration qu’ils avaient déjà rédigée », a témoigné Bayram Mammadov depuis la prison où il purge, tout comme son camarade, une peine de dix ans de prison.

A l’occasion de sa campagne annuelle « Dix jours pour signer », Amnesty International a mis en avant les cas des deux militants parmi les « dix situations à défendre en 2016 ». Plus de 23 000 soutiens ont déjà été recueillis sur la pétition de l’ONG pour libérer les jeunes graffeurs. Aux côtés d’Annie Alfred, fillette malawite atteinte d’albinisme, d’Edward Snowden ou encore d’Ivo Fomusoh Feh, étudiant camerounais emprisonné pour l’envoi d’un SMS humoristique, Bayram Mammadov et Giyas Ibrahimov font partie des personnes dont « les droits sont violés », selon l’ONG.

« Nous avons choisi les cas de ces activistes, d’une part, pour mettre en lumière le triste bilan en termes de liberté d’expression de l’Azerbaïdjan, dont la situation est méconnue en France. D’autre part, leur cas est emblématique des nouvelles formes de contestation démocratique », explique Nicolas Krameyer, responsable du programme liberté d’Amnesty International.

Efforts du régime pour redorer son image

Bayram Mammadov et Giyas Ibrahimov ne sont pas seuls à être dans ce cas. « Il est difficile d’avoir un chiffre exact, puisque des arrestations peuvent avoir lieu en province sans qu’on soit mis au courant, mais on estime qu’il y a au moins une centaine de prisonniers politiques dans le pays », explique Turgut Gambar, un des fondateurs de NIDA, de passage en France pour faire connaître le cas des deux étudiants. Trois autres membres du mouvement sont aussi en prison pour avoir protesté dans les rues ou sur les réseaux sociaux contre le gouvernement. Même motif invoqué : trafic de drogue.

Alors que le pouvoir en place multiplie les efforts pour redorer son image, comme lors de l’organisation des premiers Jeux européens à Bakou en 2015, les fréquentes arrestations d’opposants et le conflit avec les séparatistes du Haut-Karabakh nourrissent les critiques sur la poigne de fer du régime, en place depuis l’indépendance du pays en 1993. « Le gouvernement utilise les réseaux sociaux pour contrôler l’opposition et savoir qui fait quoi », commente M. Gambar.

Alors que les rapports annuels de différents organismes sont alarmants quant à la situation des droits de l’homme dans le monde, Amnesty souligne que la mobilisation en masse peut être un moyen efficace de pression sur les gouvernements. Plusieurs détenus arbitraires que soutenait l’association, comme Albert Woodfox aux Etats-Unis ou les activistes Fred Bauma et Yves Makwambala en République démocratique du Congo, ont pu être libérés en 2016 sous la pression internationale.

Noé Michalon