Les ruines de la cité antique de Palmyre (Syrie), le 14 avril. | HASSAN AMMAR/AP

Au terme d’une offensive éclair de quatre jours, l’organisation Etat islamique (EI) a repris le contrôle de la ville de Palmyre, dimanche 11 décembre, neuf mois après en avoir été chassée par l’armée syrienne, appuyée par des forces russes et des milices alliées chiites. Comme un parfum de déjà-vu. La reprise de Palmyre par les troupes de l’EI n’est pas sans rappeler leur conquête initiale, en mai 2015 : même rapidité d’exécution, même débandade des forces progouvernementales, même indifférence à l’égard des habitants de la ville, abandonnés aux djihadistes.

Cette percée donne un coup d’arrêt à la série de victoires enregistrées ces derniers mois par les forces loyalistes, que ce soit dans la banlieue de Damas, où de nombreuses poches rebelles ont été neutralisées, ou à Alep. Elle remet en lumière la faiblesse intrinsèque de l’armée régulière, décimée après cinq ans de pertes et de désertions, pour défendre ses positions, quand elle n’est pas soutenue par les miliciens chiites étrangers. Les bombardements russes, samedi et dimanche, n’ont pas suffi à arrêter les djihadistes à Palmyre.

L’EI semble également avoir profité de l’absence des meilleures unités gouvernementales déployées à Alep. Habituellement, elles repoussent ses incursions dans la région, notamment celles qui visent les champs d’hydrocarbures – la moitié de la production syrienne – et sur lesquels les djihadistes ont en plus mis la main.

« Deir ez-Zor, l’option de repli naturel de l’EI »

Pour se donner bonne figure, le commandement de l’armée syrienne a assuré qu’à Palmyre « ses hommes s’étaient retirés en bon ordre en évacuant les habitants ». Vu le stock d’armes et de munitions qu’ils ont laissé derrière eux – de l’artillerie, des missiles antichars et une trentaine de blindés –, il est permis d’en douter.

L’EI a toujours maintenu une présence dans les environs de Palmyre, harcelant régulièrement les troupes gouvernementales. A 250 kilomètres de là, il est solidement implanté autour de la ville de Deir ez-Zor où il assiège une enclave contrôlée par Damas. C’est une région dans laquelle les djihadistes peuvent prélever des renforts, et où seraient arrivés ces derniers temps des militants en provenance d’autres régions. « Du fait de la perte de ses autres bastions, Deir ez-Zor est l’option de repli naturel des forces de l’EI », estime le colonel John Dorrian, porte-parole, installé à Bagdad, de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis.

Le retour des hommes au drapeau noir à Palmyre risque aussi de perturber les plans du camp pro-Assad une fois la reprise d’Alep effective. Les autorités syriennes et leurs alliés avaient le choix entre partir à l’assaut à la ville d’Al-Bab, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est d’Alep, qui est contrôlée par l’EI, ou bien avancer vers la province d’Idlib, au sud-ouest, un territoire dominé par Jaïch Al-Fatah (« l’Armée de la conquête »), une coalition djihado-salafiste.

Risque de nouvelles destructions

Damas devra décider s’il met en veilleuse ces plans et s’il redirige des troupes en urgence vers Palmyre, pour ne pas laisser aux djihadistes le temps de se barricader à nouveau dans la ville et de miner de nouveau ses abords. Ou bien s’il reporte cette opération à plus tard, au risque que les troupes de l’EI ne reprennent leur travail de destruction des ruines gréco-romaines, inscrites au Patrimoine mondial de l’humanité. Durant leurs dix mois de présence dans la cité antique, de mai 2015 à mars 2016, les soldats du califat avaient dynamité plusieurs monuments phares, comme les temples de Bêl et de Baalshamin, tout en laissant intacts d’autres vestiges emblématiques, comme la colonnade et le théâtre.

La reprise de la ville, au mois de mars, n’avait été rendue possible que par la mobilisation d’un large éventail de forces, puisées dans les rangs de l’armée régulière, mais aussi du Hezbollah libanais et des gardiens de la révolution iraniens. La Russie avait largement contribué à la victoire, par des dizaines de frappes sur les lignes djihadistes et l’envoi au sol de mercenaires. Pour célébrer ce succès, Moscou avait organisé, le 5 mai, dans l’amphithéâtre antique, un concert de musique classique, au cours duquel le président russe, Vladimir Poutine, était intervenu en vidéoconférence, pour saluer un « extraordinaire acte d’humanité ».

C’est dire si la nouvelle déroute des forces syriennes n’a pas dû plaire au Kremlin… Dans les vidéos qu’il diffuse, l’EI ne se prive pas de filmer des locaux militaires où la signalétique est rédigée en russe. A l’image des troupes syriennes, les hommes de Moscou – quelques dizaines, selon des opposants syriens – présents dans la ville n’ont pas eu d’autre choix que celui d’évacuer dare-dare.

Rébellion à l’agonie

Dans un communiqué diffusé le 11 décembre au soir, le ministère de la défense russe reportait une partie de la responsabilité de la chute de Palmyre sur les Occidentaux : « L’EI a transféré beaucoup de forces vers Palmyre depuis Rakka, où les combats contre les terroristes, par des groupes sous contrôle de la coalition internationale et américaine, ont été suspendus. En outre, de grandes réserves de blindés de l’EI ont été transférées de Deir ez-Zor. »

A Alep, l’agonie de la rébellion s’est poursuivie durant le week-end, avec la reconquête par les prorégime de deux nouveaux quartiers, Asila et Al-Maadi. Bombardés sans répit depuis bientôt un mois, les anti-Assad ne contrôlent plus qu’un tout petit secteur, au sud de la citadelle, représentant environ 10 % de leur ancien bastion.

Les combattants et les milliers de civils retranchés dans ce réduit demandent la mise en place de corridors d’évacuation, vers des zones hors du contrôle du régime, comme la province d’Idlib ou le nord d’Alep. Mais les négociations entre Américains et Russes sur ce sujet, organisées à Genève durant le week-end du 10 et 11 décembre, n’ont pas débouché, exposant les derniers défenseurs des quartiers orientaux au risque d’un écrasement total.