Yahya Jammeh, le 1er décembre à Banjul. | JEROME DELAY / AP

« Tout est calme dans les rues de Banjul, mais je suis anxieuse : que va-t-il se passer ? » Lalla, 17 ans, se pose cette question, comme beaucoup de ses compatriotes, alors que la Gambie traverse une période aussi inédite que tendue. Une semaine après la victoire surprise, le 1er décembre d’Adama Barrow dans les urnes, le président sortant, Yahya Jammeh, qui avait pourtant reconnu sa défaite le lendemain de l’élection, a finalement rejeté, vendredi 9 décembre, les résultats du scrutin.

« Tout comme j’ai loyalement accepté les résultats, en croyant que la Commission électorale était indépendante, honnête et fiable, je les rejette dans leur totalité », a lancé M. Jammeh sur la télévision nationale, dénonçant des « erreurs inacceptables » de la part des autorités électorales. Les affres qui avaient entouré la période préélectorale et disparu avec le scrutin, la joie remplaçant la peur, sont réapparues.

Les événements se sont succédé rapidement ces derniers jours. Jeudi, Yahya Jammeh, encore en poste jusqu’à la transition officielle, fin janvier 2017, nommait 49 officiers à des postes-clés de l’armée, qui ne compte pas plus de 1 000 soldats. Une décision importante, vue par un diplomate comme « un moyen de garder une mainmise sur l’armée » alors que le chef d’état-major, Ousmane Badjie, avait prêté allégeance au président élu un peu plus tôt dans la semaine.

« C’est fort possible qu’il y ait une division au sein de l’armée, et que M. Jammeh ait nommé ceux-ci dans l’espoir d’avoir leur loyauté en retour, ce ne serait pas la première fois qu’il le ferait », analyse Niklas Hultin, chercheur à l’université George-Mason, aux Etats-Unis, et spécialiste de la Gambie. Samedi matin, les militaires qui avaient quitté les rues de la capitale ont remis en place contrôles et patrouilles le long des chaussées. Dans le même temps, le pont de Banjul, seul accès terrestre à la capitale, a été fortement sécurisé, des soldats creusant des tranchées derrière des sacs de sable.

« Discipline et maturité »

« C’est impossible que Jammeh revienne sur la décision des urnes, déclarait alors Adama Barrow au Monde, joint par téléphone et manifestement agacé par la situation. Nous allons descendre dans les rues. Pour le retour de la démocratie, nous sommes prêts à y laisser notre vie. » Très incisif lors de cet entretien, il a ensuite radicalement changé de discours, appelant plus tard dans la journée les Gambiens à « poursuivre leurs activités habituelles », sans violence et « avec discipline et maturité ».

« Le président sortant, Yahya Jammeh, n’a pas l’autorité de déclarer nulles ces élections, la Commission électorale indépendante est la seule compétente, a continué le chef de file de la coalition de l’opposition. En guise de réponse, l’APRC, le parti de Yahya Jammeh, a annoncé dans la soirée de samedi, sur les antennes de la télévision nationale, que le président sortant s’en remettrait à la Cour suprême. « Mais les juges de cette cour ont toujours été nommés par Jammeh !, peste Essa Bokar Sy, ancien ambassadeur de Gambie en France et aux Etats-Unis, aujourd’hui en exil. Accepter de s’en remettre à la Cour suprême revient à s’en tenir à sa vision des choses et à prolonger son régime. »

A l’unisson, la communauté internationale a condamné ce revirement de Yahya Jammeh. Alors que l’Union africaine a annoncé la convocation « urgente » de son Conseil de paix et de sécurité, les Nations unies ont appelé le chef de l’Etat sortant à « transférer, sans condition ni délai, le pouvoir au président élu Barrow ». En guise de réponse, la présidente de la Communauté économique d’Afrique de l’Ouest ’Cédéao), Ellen Johnson Sirleaf, s’est vu refuser l’autorisation d’atterrir à l’aéroport de Banjul, samedi.

Entre-temps, Adama Barrow a déclaré samedi qu’il allait « ouvrir un canal de discussion [avec M. Jammeh] pour essayer de le convaincre de faciliter une transition douce du pouvoir ». Mais le lendemain, le président élu expliquait n’avoir toujours pas pu entrer en contact avec Yahya Jammeh. Comme un euphémisme de la crise que traverse la Gambie, où son président sortant se barricade, seul, face au reste du monde.