A la suite de négociations entre le gouvernement nigérian et le groupe extrémiste Boko Haram, vingt et une des jeunes femmes prisonnières des terroristes ont été libérées en octobre, après trente mois de détention. Quelques semaines plus tard, une autre lycéenne a été évacuée grâce à une opération militaire dans la forêt de Sambisa, au nord-est du pays. Sur les 276 lycéennes kidnappées en 2014, 196 sont toujours entre les mains des terroristes.

« Cela m’a mise hors de moi qu’une bande d’illettrés, et c’est ce qu’ils sont, ait décidé, juste comme ça, de partir avec ces filles. Pour moi, ce n’était pas possible, je n’allais pas rester dans l’ombre et juste accepter que cela était arrivé », s’indigne la Nigériane Florence Ozor, l’une des initiatrices du mouvement Bring Back Our Girls. Aujourd’hui responsable des questions stratégiques au sein de l’association, elle mène un double combat : continuer à militer pour la libération des lycéennes qui se trouvent encore en captivité et faciliter la réintégration des rescapées dans la société nigériane.

Nigeria : les proches des « filles de Chibok » reçus par le président Buhari
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Où se trouvent les vingt et une jeunes filles qui ont été libérées en octobre ?

Florence Ozor Elles sont sous protection gouvernementale, très probablement à Abuja. Mais je ne veux pas faire de spéculations. Nous savons que le gouvernement a pris ses responsabilités envers ces filles. Je suis plutôt confiante, je sais qu’ils font le nécessaire pour elles.

Le retour dans le nord-est du pays, d’où les filles sont originaires, est-il envisageable ?

Le retour dans le nord-est du pays n’est pas la première chose à considérer. Il suffit d’imaginer le traumatisme, la souffrance et le stress par lequel elles sont passées. Elles ont besoin d’être prises en charge. Une psychothérapie est nécessaire avant toute chose. Il faut également qu’elles soient examinées, médicalement parlant.

Si les lycéennes ne sont pas rentrées chez elles, leurs familles sont-elles tout de même à leur côté ?

Nous savons que le gouvernement a organisé une réception de bienvenue pour elles, et leurs familles étaient présentes. Leur venue a été prise en charge, financièrement et logistiquement. Le gouvernement ne veut pas séparer les filles de leurs familles, parce qu’elles ont besoin, plus que jamais, d’avoir leurs proches auprès d’elles.

Le programme de réintégration prévu par le gouvernement est-il suffisant ?

On peut toujours faire mieux. Le gouvernement va continuer à aller dans ce sens. Le président Buhari a promis de mettre en place un programme comprenant un support médical, nutritionnel et psychologique adéquat. Pour la suite, le gouvernement a assuré prendre ses responsabilités afin que les ambitions personnelles, éducatives et professionnelles des filles de Chibok puissent être réalisées. Mais nous n’en sommes pas encore à cette étape-là.

Comment la société nigériane réagit-elle face à leur retour ?

Il faut diviser la société nigériane en plusieurs groupes. Il y a ceux qui n’ont pas cru en l’enlèvement des lycéennes en 2014. Il y a ceux qui pensent que leur départ remonte à trop loin maintenant, qu’elles sont probablement toutes décédées et qu’on ferait mieux de les oublier. D’autres encore pensent que les filles n’ont pas forcément envie de revenir, alors pourquoi passer par tout ce stress ? Certains enfin pensent qu’elles sont probablement tombées enceintes, qu’elles ont des enfants, qu’elles sont de grandes filles maintenant, et qu’elles peuvent se débrouiller seules.

Quant à nous, nous pensons que chacune de ces filles doit nous être ramenée. Alors nous faisons en sorte que ce soit dit et redit chaque jour. Aucun terroriste, nulle part dans le monde, ne devrait avoir le droit ou plutôt penser avoir le droit d’enlever des filles, des enfants qui vont à l’école.

L’une de ces lycéennes a exprimé le souhait de retourner auprès de son « mari » terroriste. Comment réagir ?

En effet, il y a eu un article de presse où l’une des lycéennes, Amina Ali, celle qui a été retrouvée en mai, indiquait que son époux lui manquait. Vous savez, ces filles ont été enlevées depuis si longtemps, coupées du monde, que la dernière chose dont elles ont besoin, c’est qu’on les interroge et qu’on expose leurs sentiments au monde entier. Elles ont besoin de temps pour faire le point sur ce qui s’est passé, pour comprendre.

A partir de ce moment-là, même si une des filles dit vouloir retourner là-bas, elle a d’abord besoin d’être réhabilitée et réintégrée. On ne veut pas, on ne peut pas encourager le syndrome de Stockholm.

Comment s’est déroulé le retour à l’école pour les 57 lycéennes qui avaient réussi à s’échapper en 2014 ? Va-t-on suivre le même schéma pour celles qui ont été libérées cette année ?

Aujourd’hui, la plupart des 57 lycéennes sont à nouveau scolarisées, certaines au Nigeria, d’autres aux Etats-Unis. Une organisation non gouvernementale, avec l’aide d’autres fondations, a décidé de prendre en charge la scolarité d’une dizaine d’entre elles aux Etats-Unis, à titre privé. Les autres ont été inscrites dans des établissements nigérians.

Pour les filles rescapées cette année, une fois de plus, on ne peut pas parler d’éducation à ce stade. Mais je sais que cela fait partie du plan global, le président a été très clair là-dessus. J’espère qu’elles vont toutes retourner à l’école. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour. L’urgence absolue, c’est la psychothérapie.