Beth O’Reilly est l’une des vingt artistes qui ont réalisé Lascaux 4. | Bertrand Rieger/hemis.fr

18 000 ans ont beau les séparer, c’est sur les fausses parois d’une grotte de résine que leurs mains d’artistes se sont finalement rencontrées. Avant de se mêler, à s’en confondre. Durant trois années et dans le silence presque monacal de l’AFSP (Atelier des fac-similés du Périgord), Beth O’Reilly a mis avec méticulosité et émotion ses pinceaux dans ceux des hommes de Lascaux. Ici, des aurochs que l’on jurerait tout droit sortis de la chapelle Sixtine de la préhistoire. Ailleurs, une vache noire d’une ressemblance saisissante avec la vraie, celle de la grotte originelle. Plus loin, mille et une gravures impressionnantes de réalisme.

« On ne reproduit pas que des fresques, on reproduit aussi l’état actuel de la cavité. Les fragments des dessins sont parfois minuscules. Notre travail se fait millimètre par millimètre », assure cette peintre anglaise de 39 ans qui vit dans le Périgord. Depuis janvier 2014, la jeune femme participe à la fabrication du fac-similé de Lascaux 4 qui ouvrira bientôt à Montignac, au pied de la colline abritant la célèbre grotte ornée du paléolithique. À partir du 15 décembre, le public pourra ainsi découvrir ce nouveau site porté par le conseil départemental de la Dordogne.

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Un chantier de 57 millions d’euros devenu incontournable car Lascaux 2 ne peut plus accueillir de touristes, la colline venant d’être classée zone protégée. Situé à 200 mètres de la cavité originelle, ce tout premier fac-similé a vu défiler, en trente-trois ans d’existence, plus de 10 millions de personnes ; autant de passages qui ont fini par entraîner des infiltrations à l’intérieur même de Lascaux. D’où l’idée d’une nouvelle réplique, cette fois-ci en contrebas, sans crainte d’abîmer l’un des joyaux mondiaux de la préhistoire. Lascaux 4 permettra d’admirer ce chef-d’œuvre rupestre dans son intégralité – alors que Lascaux 2 n’en présentait qu’une partie.

Pas de place pour l’interprétation

C’est donc cette réplique exceptionnelle que l’on doit, entre autres, à Beth O’Reilly et à la vingtaine de plasticiens, décorateurs, peintres et sculpteurs qui se sont relayés, conseillés, épaulés des mois durant dans les vastes hangars de l’AFSP. « Nous avons tous des métiers différents mais on se complète. Il y a aussi bien des restaurateurs d’art spécialisés dans la porcelaine que des artistes qui manient la pâte de verre. À vrai dire, il n’existe aucune formation en fac-similé. »

Des décors en trompe-l’œil ou de théâtre de rue, des fresques et des imitations en fausses pierres… Avec ses études d’arts appliqués, Beth O’Reilly n’était pas vraiment prédestinée à s’immerger un jour dans l’univers de Lascaux. « J’ai envoyé mon CV au moment où l’atelier recrutait pour ce projet. J’habite Montignac. C’est peut-être pour cela que j’ai été prise, je ne sais pas. » Le caractère grandiose de ce patrimoine culturel unique au monde et l’incroyable prouesse que représente la fabrication d’une copie de haute couture ont séduit d’emblée la peintre. Le chantier lancé, il lui a alors fallu redessiner les formes faites par la main à Cro-Magnon, tracer à nouveau les figures animales de la préhistoire et, sous les pinceaux, redécouvrir les motifs de la cavité. Au grain, à la nuance de couleur près. Rien n’a été laissé au hasard, à l’interprétation. « Techniquement, c’est un très gros challenge. Certaines parois n’avaient jusque-là encore jamais été copiées. »

Une mission présentant une difficulté majeure pour tout artiste qui se respecte : ne surtout pas ajouter de touche personnelle à la réplique. Et donc arriver à mettre son ego de côté. « C’est le plus dur. On est souvent nombreux à peindre sur une même paroi. Mais ça ne doit pas se voir. L’ensemble doit rester cohérent et, surtout, il faut que l’œuvre soit respectée, insiste Beth O’Reilly. Aucun détail ne doit être oublié non plus. Pour cela, on s’accorde entre nous sur les fonds, les couleurs. C’est un vrai travail d’équipe. » Où l’on discute, où l’on rit, où l’on pleure même, où l’on s’angoisse aussi parfois. À l’humanité de Lascaux s’ajoute, dans ce fac-similé d’exception, celle des artistes du XXIe siècle.

Par Ludivine Loncle