A Alep, le 3 décembre. | YOUSSEF KARWASHAN / AFP

Les partisans du régime manifestent leur joie dans les quartiers de l’ouest d’Alep, restés sous contrôle gouvernemental depuis le début de la guerre dans la ville en 2012. Des tirs de célébration ont retenti, lundi 12 décembre au soir, après que l’armée syrienne a annoncé la reprise imminente du dernier carré insurgé, tandis que des habitants scandaient leur soutien à Bachar Al-Assad. Mardi, d’autres paradaient encore en voiture, brandissant le drapeau syrien et faisant le V de la victoire, selon des images diffusées par les médias progouvernementaux. Pour les plus zélés, la reconquête de la ville par les forces pro-Assad est un triomphe, malgré le champ de ruines qu’est devenu l’est d’Alep.

« Nous espérons la fin de cette sale guerre et la réunification de la ville, confie un médecin de la ville, qui témoigne de façon anonyme. Alep a vécu une situation terrible. Vous, les médias occidentaux, avez caché les souffrances de notre population [à l’ouest], soumise aux tirs de mortiers et de roquettes. » Avec l’ultime offensive lancée à la mi-novembre par l’armée et les milices qui lui sont alliées, au rythme d’incessants bombardements contre le bastion insurgé, les tirs d’artillerie rebelles s’étaient intensifiés contre les quartiers loyalistes. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), 130 civils ont été tués par ces frappes. Au moins 1,5 million d’habitants vivent dans l’ouest d’Alep, sans compter les milliers de déplacés de l’est qui ont afflué au cours des derniers jours, fuyant les bombardements et les combats.

« Fanatiques »

« Nous espérons revivre normalement », reprend le médecin, partisan du régime. Pour lui, les groupes rebelles sont des « fanatiques, responsables d’horreurs » contre les civils. Ce notable ne commente pas le déluge de feu contre les quartiers rebelles, qui a fait plus de 460 morts parmi les civils selon l’OSDH, au cours de l’ultime offensive des forces pro-Assad. Il reconnaît toutefois que « toute la population d’Alep a vécu un cauchemar » depuis 2012.

Dans l’ouest, le soulagement est grand que la guerre prenne fin dans Alep, et que la ville puisse sortir de l’isolement des quatre dernières années. Ce n’est pas un hasard si les autorités ont annoncé, dès lundi, que les liaisons aériennes allaient reprendre. La division d’Alep, par la ligne de démarcation qui traversait la vieille ville, a été vécue comme une déchirure. « Quelle que soit leur opinion, les Alépins n’ont jamais accepté que la ville puisse être divisée », souligne Zeina (les prénoms ont été modifiés pour des raisons de sécurité), réfugiée à Beyrouth. Les quartiers de l’ouest, soumis à des tirs sporadiques par les insurgés, ont aussi été assiégés en 2013.

Mais, malgré le soulagement, les célébrations triomphalistes des derniers jours sont loin de faire l’unanimité. Parmi les habitants originaires des quartiers de l’ouest d’Alep – les déplacés de l’est, depuis 2012, y constituent près de la moitié de la population –, les groupes rebelles qui tenaient l’autre partie de la ville n’ont jamais suscité de sympathie. Encore moins lorsque les plus radicaux ont gagné en puissance. Bachar Al-Assad garde de nombreux partisans, mais même dans leurs rangs, beaucoup ont refusé d’envoyer leur fils au service militaire. Et le président ne jouit pas d’un soutien unanime. Des habitants sont revenus de tout. D’autres sont hostiles au pouvoir, sans l’exprimer publiquement.

Fadi reste « attaché à l’Etat ». Il a échappé à la mort à trois reprises. « Il faut que la guerre prenne fin. Mais je ne sais pas ce que l’on peut fêter, alors qu’on a perdu des jeunes ici, qu’on pleure nos morts, et qu’il y a tant de destructions et de morts de l’autre part. La logique de vainqueur et de vaincu n’a pas de sens. On est un seul peuple. Est-ce qu’on veut vivre dans un esprit de vengeance ? Est-ce qu’on veut continuer notre plongée dans l’enfer ? » Sans trop d’illusions, il espère une « réconciliation », malgré le « chaos ».

« Est-ce qu’on a appris de nos erreurs ?, s’interroge Zeina. A Alep, ce n’est pas seulement une révolte contre le régime qui s’est jouée, mais un affrontement social. » Cette femme avait soutenu les manifestations contre le pouvoir à l’université d’Alep, en 2012, avant de « prendre une claque, quand les slogans religieux sont apparus ». Elle avoue qu’aujourd’hui, « il n’y a plus de confrontation politique » avec ses amis alépins qui soutiennent toujours le régime. « On ne sait plus sur quoi débattre, après tous ces morts. On est en état de choc. »

Kamal, 18 ans, n’a plus mis les pieds à l’université, ces derniers jours. Hostile aux Assad, il a vécu dans l’angoisse pour son cousin, « sous les bombardements », dans le dernier carré insurgé. « Le régime n’a pas fait un “exemple”, en écrasant l’est rebelle. Il a montré qu’il n’avait pas changé, avance cet étudiant. De nombreux habitants de l’ouest avaient de la famille de l’autre côté au cours de ces années. Ceux qui ont perdu un proche ne le pardonneront pas au régime. » L’université est, pour lui, la seule chance d’échapper au service militaire. Une menace qui reste présente, alors que « la guerre en Syrie n’est pas finie ».