LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine, si notre sélection avait une couleur, ce serait le noir. Manchester by the Sea, Personal Shopper et Une semaine et un jour peuvent se lire comme trois belles variations sur un même thème : la perte de l’être aimé. Même tonalité sombre côté animation, avec l’adaptation d’un conte de Grimm assez dur : La Jeune Fille sans mains.

UN HOMME EN MIETTES DANS UN MÉLO OCÉANIQUE : « Manchester by the Sea », de Kenneth Lonergan

MANCHESTER BY THE SEA Bande Annonce (Casey Affleck, 2016)
Durée : 02:38

Dans chaque film de Kenneth Lonergan, 54 ans, un accident tragique survient, à l’épreuve duquel ses protagonistes doivent apprendre à se reconstruire dans son ombre. Chaque œuvre de ce réalisateur hors normes ressemble à un accident, fût-il miraculeux. Après Tu peux compter sur moi (2000) et Margaret (2011), voici Manchester by the Sea. Auteur d’un cinéma intimiste d’une amplitude et d’une sensibilité devenues rarissimes dans le cinéma américain, Lonergan livre ici un récit bouleversant, mélodrame noueux et cristallin comme un matin d’hiver, débarrassé des canons comme des facilités du genre. Au centre du tableau, Lee Chandler, interprété par Casey Affleck dans ce qui ressemble diablement au rôle d’une vie. Barbu, transi, le corps disparu sous les couches de vêtements, il est l’homme à tout faire d’un grand ensemble, logeant en ermite dans un gourbi sans âme, macérant dans les tuyauteries d’autrui comme on célèbre un martyre résolu. Personnage opaque de part en part, perclus, intense, granitique, englouti dans un drame intime que le film mettra du temps à révéler, en même temps qu’il met à la charge de cet homme abîmé son jeune neveu, dont le père vient de mourir. Jacques Mandelbaum

Film américain de Kenneth Lonergan. Avec Casey Affleck, Michelle Williams, Kyle Chandler, Gretchen Mol, Lucas Hedges. (2 h 18)

LA FILLE QUI PARLAIT AUX FANTÔMES : « Personal Shopper », d’Olivier Assayas

PERSONAL SHOPPER (Kristen Stewart, Thriller Fantastique) - Bande Annonce VF
Durée : 02:09

Maureen vient de perdre Lewis, son jumeau – et attend qu’il « revienne ». Son présent s’est figé en demi-vie où, bloquée dans l’attente, elle est incapable de quitter un métier qu’elle méprise (acheteuse de mode) et de rejoindre son ami à l’étranger. Ces limbes où elle erre, ne communiquant avec le monde qu’entre parenthèses – souvent professionnelles et dépourvues de sens –, font d’elle le premier des fantômes inattendus croisés du côté de la vie. Maureen a beau jouer parfois le jeu du papillon, en passant les vêtements clinquants de la star, l’armure à la mode ne lui sert de rien – la lumière des sequins la dévore plus qu’elle ne l’éclaire. Son royaume, et sa prison, c’est la maison de Lewis où elle vient de nuit exiger entre les ombres « la plus petite chose » qu’il puisse lui envoyer. Aussi le doute ultime dont souffre Maureen ne porte-t-il, peut-être, que sur son désir de revenir à la lumière qui n’en est pas une, du côté des « vivants ». C’est au-delà des ectoplasmes, des risques scénaristiques, peut-être ce tableau plus simple qu’Assayas réussit le mieux : le portrait d’une solitaire qui s’ignora aussi longtemps qu’elle se vivait en siamoise, et que la mort du jumeau met face à son manque de goût pour le monde dont les autres s’accommodent. Noémie Luciani

Film français d’Olivier Assayas, avec Kristen Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz… (1 h 45.)

UN CONTE CRUEL TRANSFIGURÉ PAR L’AQUARELLE : « La Jeune Fille sans mains », de Sébastien Laudenbach

LA JEUNE FILLE SANS MAINS Bande Annonce (Animation - 2016)
Durée : 02:01

Au début de La Jeune Fille sans mains, un père vend sa fille vierge au diable comme il la livrerait au maquereau, lui ouvrant un abîme de salissures – sexuelles, mais pas seulement. La jeune fille est trop pure pour céder, sans que cette pureté suffise à la préserver du mal – comme le laisserait attendre la morale d’autres contes plus aisés à lire et à aimer. Elle perd ses mains dans le combat et prend la fuite, plus démunie dans sa mutilation nouvelle que Peau d’âne sous son manteau mité. L’histoire, écrite par les frères Grimm, est ancienne. A la découvrir sous les traits du merveilleux film d’animation de Sébastien Laudenbach, on a pourtant l’impression qu’elle a été imaginée hier, ou même qu’elle s’invente sous nos yeux à mesure qu’elle se montre. L’image apparaît sans contours, en traits d’aquarelle qui sont parfois des taches ou des ombres, volontairement réduits à la combinaison expressive minimale : de la même encre noire surgissent les yeux, la bouche, les sourcils, une chevelure, et voilà la jeune fille tout entière. Ce ne sont pas les traits d’un corps, mais la chair palpitante que restitue le mouvement perpétuel des couleurs et des lignes, de sorte que le spectacle animé qui en naît, si épris d’abstraction qu’il puisse être, n’en est pas moins incarné avec une intensité que le cinéma d’animation récent nous a rarement offerte. Noémie Luciani

Film d’animation français de Sébastien Laudenbach (1 h 13).

DU DEUIL À LA COMÉDIE : « Une semaine et un jour », d’Asaph Polonsky

UNE SEMAINE ET UN JOUR Bande Annonce (Israël - 2016)
Durée : 01:51

Le premier long-métrage du jeune Asaph Polonsky (né en 1983) part d’une situation certes rebattue, mais jamais anodine, à savoir celle du deuil. Cependant, il s’agit moins ici du deuil comme déflagration que de son dépassement, sa transition vers autre chose. Chose étonnante, on ne sait pas tout de suite qui occupe la place du mort, mais on apprend presque incidemment qu’il s’agit d’un fils, fauché à 25 ans par le cancer, et cette latence laisse le champ à une approche détonante du sujet par la comédie. Asaph Polonsky renverse ainsi la gravité, la componction, les passages attendus du récit traumatique pour restituer toute l’incongruité, le sentiment d’absurdité et d’insurrection personnelle qu’appelle une situation aussi intolérable que la perte d’un enfant. Mathieu Macheret

Film israélien d’Asaph Polonsky, avec Shai Avivi, Evgenia Dodina, Tomer Kapon, Alona Shauloff, Uri Gavriel, Sharon Alexander, Carmit Mesilati-Kaplan (1 h 38).