Seize mois après sa promulgation, la loi Macron continue de provoquer de gros remous chez les notaires. L’une des dispositions de celle-ci les plus symboliques vise à libéraliser l’accès à cette profession. Or, la procédure retenue a déclenché un afflux inattendu de candidatures. Les nombreux prétendants qui tapent à la porte du notariat accusent les professionnels déjà installés d’avoir, par corporatisme, provoqué l’embouteillage afin d’entraver la réforme et de préserver leur pré carré. « Procès d’intention ! », s’indignent ces derniers, en rejetant sur le gouvernement la responsabilité du « capharnaüm ».

La loi Macron instaure la liberté d’installation dans les territoires sous-dotés en notaires. Deux cent quarante-sept zones ont été délimitées, au sein desquelles seront créés 1 002 offices nouveaux. Une petite révolution, qui a mécontenté la profession, mais engendré d’énormes espoirs chez ceux qui souhaitent exercer une telle activité. L’association LIDN, créée par des diplômés notaires qui militent pour la liberté d’installation, s’est réjouie de cette « évolution juste et nécessaire ».

« Dévoiement » de la réforme

Ne restait plus qu’à désigner les « lauréats ». C’est là que les choses se sont corsées. Le 16 novembre, le portail numérique, chargé de centraliser les demandes, a été pris d’assaut : près de 30 000 candidatures en vingt-quatre heures ! Une déferlante qui a inspiré de vives inquiétudes chez les aspirants notaires.

Plusieurs élus de la majorité s’en sont fait l’écho. Dans une lettre au ministre de la justice, Jean-Jacques Urvoas, les députés PS Richard Ferrand (Finistère) et Cécile Untermaier (Saône-et-Loire) s’interrogent sur un « éventuel dévoiement » de la réforme, causé par deux décrets d’application : publiés en juin et en novembre, ils ouvrent la possibilité « aux sociétés de notaires de détenir plusieurs offices », ce qui a, du même coup, permis à celles-ci de candidater. Or, l’objectif de la loi, soulignent les deux députés, n’était pas de favoriser la concentration, mais de « grossir le nombre » de professionnels. L’association LIDN, elle, considère que ces textes d’application, qui vont à l’encontre de l’esprit de la loi Macron, récompensent le lobbying acharné des notaires.

« Je suis exaspéré que l’on nous fasse porter la responsabilité de cette situation », réagit Me Didier Coiffard, président du Conseil supérieur du notariat (CSN). Il affirme que lui et ses pairs ont été surpris de découvrir, début novembre, que les sociétés de notaires avaient, elles aussi, le droit de postuler : « Ce n’est pas nous qui l’avons demandé. » Cette faculté donnée aux notaires déjà installés de faire acte de candidature a, dit-il, provoqué un déluge de « clics » sur le portail numérique, une même personne pouvant s’inscrire dans autant de zones que souhaité.

Dans l’entourage de M. Urvoas, on fait valoir que le CSN avait été consulté, dès l’été, sur les décrets : autrement dit, il est difficile d’invoquer un effet de surprise, comme le suggère Me Coiffard. Mais le président du CSN assure que la profession s’est désormais mise en « ordre de marche » pour accueillir les nouveaux entrants.

« Conditions obscures »

Que va-t-il se passer, maintenant ? Le nombre de candidats excédant celui des postes offerts, un tirage au sort, zone par zone, est effectué, chaque semaine, à la chancellerie : un magistrat pioche des petits morceaux de papier, en présence d’un représentant du CSN. Plusieurs territoires ont déjà été traités ; les premières nominations devraient intervenir « d’ici à la fin de l’année », d’après la chancellerie. Mais tout cela se passe dans des « conditions obscures », considère une membre de LIDN souhaitant rester anonyme.

Une action en référé a été engagée devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté organisant le tirage au sort. Celui-ci doit être suspendu, estime, pour sa part, le CSN, en réclamant une remise à plat complète de la procédure, afin que celle-ci soit réservée aux « primo-installants », c’est-à-dire à ceux qui s’établissent pour la première fois. Sur ce dossier, le gouvernement n’est sans doute pas au bout de ses peines.