C’est le genre d’histoire que l’on a peine à croire : un inconnu se présente dans une maison de vente pour montrer un portefeuille de quatorze dessins et l’un d’eux se révèle être probablement de la main de Léonard de Vinci. L’homme est un médecin français à la retraite, fils d’un bibliophile. La maison de vente, c’est Tajan, à Paris. L’expert, c’est Thaddée Prate, directeur du département « maîtres anciens », qui, en mars, reçoit un peu à la hâte ce visiteur qui lui dit être venu en raison de la réputation de la maison.

Il passe en revue les dessins, s’arrête sur une sanguine italienne du XVIe siècle, mais surtout sur un dessin au crayon et à l’encre, lui aussi italien, qui montre un saint Sébastien attaché à un arbre, dans un paysage de montagne juste mentionné en quelques lignes. Ce n’est pas tant l’inscription « Michel Ange » qui figure sur le montage entourant la feuille qui le retient que la vigueur des lignes. Elle l’intrigue assez pour qu’il montre l’œuvre à l’expert et marchand Patrick de Bayser qui s’aperçoit à de menus détails graphiques que le dessin a sans doute été tracé par un gaucher. Or, des gauchers capables d’une telle maîtrise graphique, il n’y en a pas foule dans l’Italie de la Renaissance. Un surtout est connu – universellement : Léonard de Vinci. Au recto de la feuille, Patrick de Bayser découvre deux petits dessins à l’encre, d’une tout autre nature : des études de la géométrie de la projection des ombres sur un mur. Il découvre aussi, très pâles, des inscriptions qui rappellent l’écriture inversée dont Léonard usait pour protéger ses travaux des indiscrets.

Tajan, collection particulière, France. | Tajan, collection particulière, France.

Deux croquis géométriques

Ayant encore peine à croire ce que ces indices suggèrent, les deux experts soumettent le dessin à Carmen C. Bambach. Conservatrice au Metropolitan Museum de New York, elle a participé à l’exposition « Leonardo da Vinci ­Master Draftman » qui a eu lieu au Met en 2003. A cette occasion, elle a commenté les deux dessins de saint Sébastien de Léonard ­connus, conservés l’un à la Kunsthalle de Hambourg, l’autre au Musée Bonnat de Bayonne. Or, dans le Codex Atlanticus, dressant l’inventaire de ses travaux, l’artiste en mentionne huit. Le dessin réapparu serait-il l’un des six manquants ? Carmen Bambach en est convaincue et publiera en janvier 2017 une étude dans laquelle elle attribue à Léonard cette étude et replace les deux croquis géométriques et les annotations qui les accompagnent parmi les expériences d’optique de Léonard.

Elle propose pour datation les années 1478-1483, fin de la première période florentine de l’artiste. Elle dispose pour cela d’un ensemble d’indices à l’évidence très consistant, de l’intérêt de Léonard pour le sujet – huit fois repris donc – à la puissance expressive de l’anatomie et aux schémas et notes au recto. Dans un communiqué, le Met fait siennes ses ­conclusions et se réjouit de cette « exciting new discovery ».

Le laboratoire du Louvre procède à des examens scientifiques de la feuille, dont les résultats n’ont pas encore été communiqués

Le cas a été jugé assez sérieux pour que le Louvre dépêche pour examiner la feuille son directeur du département des arts gra­phiques, Xavier Salmon, et le conservateur Dominique Cordellier, chargé des XVe et XVIsiècles français et italiens. Assez sérieux encore pour que le laboratoire du Louvre procède à des examens scientifiques de la feuille, dont les résultats n’ont pas encore été communiqués, pas plus que l’opinion des conservateurs, ce qui n’est pas une surprise. Il est au demeurant visible au premier regard que la feuille a été abîmée dans sa partie supérieure et restaurée, restauration plus visible encore au recto. L’observation permet aussi de s’apercevoir que, quel qu’en soit l’auteur, il s’agit d’une étude destinée à déterminer la posture des membres. Il y a deux positions de l’épaule gauche et quatre des jambes, dépliées ou pliées. A l’inverse, le visage n’a pas été repris. Il exprime plutôt l’exaltation que la douleur, ce qui pourrait s’expliquer par une décision de l’artiste : il montre le martyr avant qu’il ait été transpercé de flèches par les archers de Dioclétien, ce qui est une singularité par rapport à la tradition iconographique qui le représente d’ordinaire blessé en plusieurs points. L’arbre auquel il est attaché est dessiné avec netteté, alors que le paysage est tout juste indiqué. Ceci aussi se comprend : ce n’était pas là ce que l’auteur voulait déterminer.

Convaincus de l’attribution à Léonard, les experts de Tajan en estiment la valeur à 15 millions d’euros. Ils ont demandé au ministère de la culture le passeport nécessaire à la vente à l’étranger et n’ont pour l’heure reçu aucune réponse. Le dessin sera officiellement présenté le 10 janvier 2017 par la maison de vente. Il devrait être mis aux enchères en juin.