LETTRE DE BERLIN

Le nouveau secrétaire d’Etat au logement du gouvernement berlinois, Andrej Holm, le 27 mai 2011 | Heinrich-Böll-Stiftung/(CC BY-SA 2.0)

Andrej Holm : ce nom ne vous dit sans doute rien et c’est normal. Jusqu’à ces derniers jours, ce sociologue engagé à l’extrême gauche, enseignant en sociologie à l’université Humboldt de Berlin, était surtout connu pour ses travaux sur la « gentrification » des grandes villes. Mais sa nomination, mardi 13 décembre, au poste de secrétaire d’Etat chargé du logement dans le nouveau gouvernement berlinois issu des élections du 18 septembre lui a donné une notoriété dont il se serait volontiers passé. En cause : son appartenance à la Stasi, la police politique de l’ex-République fédérale allemande (RDA), qui le met aujourd’hui au cœur d’une polémique relayée par les médias nationaux, et pas seulement par la presse berlinoise.

Né à Leipzig en 1970, Andrej Holm n’avait que 20 ans au moment de la réunification du pays. Il appartient à une génération qui, a priori, ne devrait guère avoir de compte à rendre pour ses liens avec l’ancien régime est-allemand. Seulement voilà : fils d’un officier de la Stasi, le jeune homme n’a pas attendu l’âge adulte pour affirmer ses ambitions. Dès l’âge de 14 ans, il rédige une lettre dans laquelle il se dit prêt à suivre les pas de son père. Ce sera chose faite quatre ans plus tard. En septembre 1989, deux mois avant la chute du mur de Berlin, il devient élève-officier au sein du bras armé de la Stasi, le régiment Felix-Dzerjinski, du nom du fondateur de la Tchéka, la première police politique soviétique.

Ce passé, Andrej Holm a décidé de l’assumer. « Je ne peux pas changer ma biographie après-coup – juste en tirer les leçons et faire avec », a-t-il ainsi expliqué sur Twitter, lundi 12 décembre, après la publication par le tabloïd berlinois B.Z. de documents d’archives le concernant. « J’ai beaucoup de respect pour ceux qui se sont révoltés en RDA. Moi-même, je n’ai pas eu ce courage », a-t-il également tweeté, à la veille de l’officialisation de sa nomination au sein du nouvel exécutif berlinois.

Nomination « odieuse »

Pour ses défenseurs, la polémique n’a pas lieu d’être. « Nous avons tous le droit à l’erreur et, par conséquent, de corriger les nôtres », a réagi Katrin Lompscher, sa ministre de tutelle, membre du parti de gauche radicale Die Linke et ancienne militante du SED, le Parti socialiste unifié de l’ex-RDA. Andrej Holm a droit à une « réhabilitation », a estimé, pour sa part, Axel Schäfer, vice-président du groupe social-démocrate (SPD) au Bundestag.

Aux yeux de ses détracteurs, au contraire, le nouveau secrétaire d’Etat ne saurait bénéficier de la moindre indulgence. C’est le cas d’Armin Laschet, vice-président de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), pour qui cette nomination est tout simplement « odieuse ». Le cas, aussi, de Dieter Dombrowski (CDU), élu du Parlement régional du Brandebourg et ancien prisonnier politique à l’époque de la RDA, qui l’a qualifiée de « révoltante ». Le cas, enfin, d’élus du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), qui ont rappelé les quelques semaines qu’Andrej Holm a passées en prison en 2007 en raison de ses liens supposés avec une organisation d’extrême gauche considérée comme terroriste.

Mais les réactions ne se sont pas limitées aux partis politiques. Hubertus Knabe, le directeur du mémorial de Berlin-Hohenschönhausen, situé dans les murs de l’ancienne célèbre prison de la Stasi, a ainsi déclaré que l’entrée d’Andrej Holm dans l’exécutif berlinois était « difficile à supporter pour beaucoup de victimes et de contempteurs du régime est-allemand », tout en se disant convaincu que celui-ci a « participé directement à la répression de l’opposition de l’ex-RDA ».

« Trajectoire classique »

Pour l’historien Emmanuel Droit, directeur adjoint du centre Marc-Bloch de Berlin et auteur de travaux de référence sur la RDA et sa mémoire, la polémique dont Andrej Holm est l’objet est « doublement intéressante ». D’abord parce qu’elle met en lumière une histoire peu connue quoique relativement banale : « C’était courant, pour un fils d’officier de la Stasi, de s’engager soi-même dans la Stasi. De ce point de vue, sa trajectoire est classique. Elle correspond à un milieu où la reproduction sociale était très forte », rappelle-t-il.

Mais l’affaire, à ses yeux, est également révélatrice de la place qu’occupe le souvenir de la RDA dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Un souvenir encore vif dans certains milieux, ce dont témoigne la réaction d’un Hubertus Knabe. « Knabe fait partie de ces entrepreneurs de mémoire qui, tels des snipers, se sont fait une spécialité de traquer les anciens de la Stasi dès qu’ils accèdent à la moindre responsabilité », explique Emmanuel Droit.

L’affaire va-t-elle en rester là ? Rien n’est moins sûr. Mercredi, Michaël Muller, maire SPD de Berlin, s’est élevé contre les jugements trop hâtifs formulés contre Andrej Holm, tout en admettant que son passé suscite des « questions légitimes ». Des questions auxquelles l’intéressé devra répondre s’il veut être confirmé dans son nouveau poste à l’issue de la période probatoire d’un an à laquelle il est soumis en tant que secrétaire d’Etat.