Dessin illustrant la cure de jouvence de souris transgéniques soumise à une régénération cellulaire. | Courtesy of Juan Carlos Izpisua Belmonte Lab /Salk Institute

Des souris génétiquement modifiées ont bénéficié d’une longévité accrue, grâce à un protocole expérimental imaginé par une équipe internationale et exposé dans la revue Cell, jeudi 15 décembre. L’espérance de vie de ces animaux est passée de dix-huit à vingt-quatre semaines, tandis que d’autres souris âgées présentaient des capacités de régénération améliorées après que des blessures leur ont été infligées.

« L’aspect le plus important de notre étude est de montrer que le vieillissement est dynamique et plastique, se réjouit Juan Carlos Izpisua Belmonte, professeur au Salk Institute (San Diego, Californie), qui a dirigé ces travaux. Vieillir n’est plus un processus unidirectionnel, comme on le pensait. On peut le ralentir et même l’inverser. »

Pour parvenir à ce tour de force, le chercheur et ses collègues ont emprunté un cocktail génétique qui a permis, en 2012, à Shinya Yamanaka de recevoir le prix Nobel de médecine. Le Japonais avait concocté quatre facteurs destinés à reprogrammer des cellules adultes pour qu’elles empruntent un destin tout autre que celui qui semblait déjà tracé. On les baptisera cellules souches pluripotentes induites (dites « iPS »). Depuis dix ans, elles soulèvent de grands espoirs en médecine régénérative et en thérapie génique – d’autant plus qu’elles offrent une alternative aux cellules souches embryonnaires. Mais on s’est aussi vite rendu compte que cette plasticité avait un coût : ces cellules peuvent se différencier dans n’importe quel type cellulaire et de façon anarchique, sur un mode qui évoque de processus cancéreux – sans doute parce que certains des facteurs employés par Yamanaka sont des oncogènes.

L’équipe du professeur Izpisua Belmonte a donc tenté de bénéficier des atouts de reprogrammation de la formule du Japonais, tout en minimisant ce risque tumoral – et semble y être parvenue, en profitant au passage d’un effet de jouvence.

Elle est tout d’abord partie d’un modèle de souris transgénique présentant tous les symptômes de la progeria, cette maladie qui se traduit par un vieillissement accéléré : une mutation correspondant à celle des patients atteints a été induite chez ces souris. L’équipe du Salk Institute, associée à des chercheurs espagnols, a ensuite créé une lignée de souris présentant les quatre facteurs découverts par Yamanaka, mais capables de les exprimer uniquement lorsqu’on leur donne à boire une solution contenant un antibiotique, la doxycycline. Restait ensuite à croiser ces deux lignées, pour obtenir une génération de rongeurs souffrant de progeria, mais capables d’exprimer de façon conditionnelle les quatre facteurs susceptibles de transformer chacune de leurs cellules en iPS.

Régime mixte

Tout l’art des chercheurs a ensuite consisté à piloter finement l’expression des facteurs de Yamanaka en testant différents régimes d’administration de la boisson coupée d’antibiotique : quand les souris en recevaient trop, elles mouraient en quelques jours ; dans le cas contraire, la progeria conduisait à un vieillissement et à une mort accélérés. Entre ces deux voies, un régime mixte – deux jours de doxycycline par semaine – a engendré les résultats espérés : un allongement spectaculaire de leur espérance de vie, assorti d’un meilleur état général de leur santé, sans que les cellules passent en mode iPS.

Soucieuse d’explorer au maximum la piste de cette cure de jeunesse induite, l’équipe a ensuite soumis des souris « yamanakées » au même régime, mais après leur avoir fait subir diverses atteintes, sur les muscles ou le pancréas. Les souris déjà âgées de plus d’un an montraient alors des capacités de récupération réservées normalement aux individus jeunes.

Coupes microscopiques de muscles chez des souris âgées: à gauche, aspect de tissus lésés qui se sont réparés naturellement, à droite, récupération plus complète chez des souris transgéniques soumises à une reprogrammation. | Juan Carlos Izpisua Belmonte Lab /Salk Institute

Aventure eugéniste

Ces résultats spectaculaires pourraient-ils être transposés à l’homme ? Les chercheurs ont ensuite testé ce régime in vitro, sur des cellules humaines, et ont constaté que des signatures moléculaires généralement associées à la sénescence étaient elles aussi modifiées. Cependant, en l’état, le protocole utilisé supposerait de créer des bébés transgéniques à qui l’on ferait boire ultéreurement de façon cyclique une boisson antibiotique. On imagine mal les comités d’éthique laisser prospérer une telle aventure eugéniste.

Le responsable des travaux imagine des crèmes ou des injections qui pourraient faire l’objet d’essais cliniques « d’ici une dizaine d’années »

« Je ne pense pas que manipuler le génome de bébés soit faisable pour développer des thérapies qui retardent ou inversent le vieillissement », souligne Juan Carlos Izpisua Belmonte. Mais on pourrait, dit-il, développer de nouvelles stratégies de rajeunissement pour des tissus ou des organes spécifiques, comme la peau, les muscles ou le système cardio-vasculaire. Il imagine des crèmes ou des injections qui pourraient faire l’objet d’essais cliniques « d’ici une dizaine d’années ».

Jean-Marc Lemaître (Inserm, Montpellier) salue ces résultats « particulièrement intéressants ». En 2011, son équipe avait montré que les cellules de centenaires humains conservaient la capacité d’inverser les processus de sénescence, grâce à six facteurs, et non quatre comme chez Yamanaka. Mais là « il y a un plus : on devient capable d’identifier les mécanismes mis en route » – lesquels restent encore à décrire. Pas question de modifier le génome humain, précise-t-il, lui aussi. Mais l’étude de ces mécanismes pourrait faire émerger « des cibles dans les cellules, qui pourraient être activées ou réprimées par de petites molécules ».

Anne Brunet, spécialiste du vieillissement (université Stanford), partage cette analyse : « Chez l’homme, induire un tel effet sur l’ensemble de l’organisme serait difficile à réaliser. » Mais elle juge ces travaux très intéressants, car ils montrent que des modifications épigénétiques – c’est-à-dire affectant l’expression des gènes, et non les gènes eux-mêmes – sont aussi en jeu : « Moduler ces facteurs épigénétiques pourrait être utilisé pour mimer cet effet réjuvénateur des facteurs Yamanaka », grâce à des molécules et notamment des petites ARN – qui influent sur l’expression des gènes. En clair, trouver le moyen d’agir sur les gènes sans être obligé de transformer le génome. Elle met cependant en garde : il faudrait évaluer les risques de développement de tumeurs.

Elizabeth Blackburn, Prix Nobel 2009 et présidente du Salk Institute, reste elle aussi prudente. Codécouvreuse de la télomérase (une enzyme qui protège les extrémités des chromosomes d’une forme d’usure, signe de vieillissement), elle commente ainsi les travaux de ses collègues : « Cette étude élégante et rigoureuse confirme l’importance de la régénération des cellules souches dans les processus de vieillissement. Avec la reprogrammation, elle offre aussi une piste potentiellement intéressante, mais qui ne doit pas non plus nous faire oublier qu’il s’agit de recherche fondamentale, pas d’applications médicales. On parle de souris, pas d’hommes. Elles vivent quarante fois moins longtemps, donc les processus de vieillissement sont très différents. » Enfin, à supposer que l’on parvienne un jour à transférer cette technique à l’humain, « on ne rallongera pas pour autant notre durée de vie maximum, estime-t-elle. Au mieux, on évitera certaines maladies, ce qui n’est déjà pas si mal. Mais nous n’irons pas tous à 140 ans… »