La Kényane Josephine Kulea a été reçue à la Maison Blanche, à Washington par le président américain Barack Obama, en juillet 2014 et félicitée pour son combat contre l’excision et les mariages forcés de fillettes. | Pete Souza/The White House

C’était il y a un an et demi. Barack Obama, en visite à Nairobi, parle depuis déjà plus d’une demi-heure. Alors que la fin de son « discours à la jeunesse » approche, le président américain tient à citer devant une assemblée électrisée un nom, celui de Josephine Kulea. « Josephine, rappelle-t-il, a déjà aidé à secourir plus de 1 000 jeunes filles des abus et du mariage forcé pour les placer dans des écoles. » Et M. Obama d’ajouter : « She gives me hope », « elle me donne de l’espoir ».

L’« espoir » ? Un mot essentiel dans la bouche du président des Etats-Unis. Un mot qui se mérite. « C’était inattendu !, s’extasie encore Josephine Kulea Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il parle de nous. »

Appels au secours quotidiens durant les vacances

Il n’y avait pourtant pas de hasard. A seulement 32 ans, Josephine Kulea est devenue depuis plusieurs années une icône pour les femmes de son pays. Depuis une décennie, cette fougueuse kényane issue de la tribu Samburu vient au secours des jeunes filles près d’être mariées de force ou excisées dans sa région natale, à l’ombre du mont Kenya.

Plusieurs centaines d’entre elles ont pu trouver refuge auprès de la Samburu Girls Foundation (SGF), fondée il y a quatre ans par Josephine Kulea. Un défi monumental, pour une organisation qui se donne mission de secourir toutes les jeunes filles de quatre comtés kényans, au centre et au nord du pays, sur un territoire aussi grand que la Grèce.

En cette saison des pluies qui assombrit l’horizon, Josephine Kulea est inquiète. De passage à Nairobi, elle profite du Wi-Fi d’un coffee shop pour surfer sur son portable et lire ses derniers courriels. « La situation est critique, s’alarme-t-elle. En ce moment, pour les enfants, c’est les grandes vacances. C’est la période où on a le plus de mariages forcés et d’excisions. On reçoit tous les jours des appels au secours. »

President Barack Obama Aknowledges Josephine Kulea's Work
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La tribu Samburu, forte d’un peu plus de 200 000 membres, majoritairement des bergers, occupe des terres ingrates à la frontière avec les déserts somalis. Dans ces campagnes délaissées, l’illettrisme et la pauvreté frappent plus de sept personnes sur dix. L’excision et le mariage forcé des jeunes filles, dès l’âge de 8 ans, y sont des pratiques quasi intouchables.

A cela s’ajoute la tradition locale du « perlage » qui consiste à parer une jeune fille d’à peine 6 ans d’un collier traditionnel de perles tressées et autorise un « fiancé » désigné, souvent de six à sept plus âgé, à avoir avec elle des rapports sexuels quand bon lui semble. « Une pratique affreuse qui fait de l’enfant un objet sexuel », se désole Josephine Kulea.

Cérémonie du « perlage »

Pour secourir les jeunes filles avant qu’elles ne soient mutilées, les équipes du SGF ont tissé un vaste réseau d’informateurs. « Les premières à nous donner des informations lorsqu’un mariage forcé est programmé, ce sont les femmes et les mères de famille qui ne veulent pas que leur fille subissent le même sort », rappelle Mme Kulea qui n’hésite pas, avec les équipes du SGF, à faire irruption au beau milieu d’une cérémonie, accompagnées de policiers en armes, pour interrompre un mariage ou empêcher une excision.

Des opérations coup de poing, parfois violentes, souvent dangereuses. « On reçoit régulièrement des menaces de mort », reconnaît Mme Kulea. Les jeunes filles recueillies de force sont ensuite prises en charge par le SGF et scolarisées, des réunions de réconciliation sont organisées avec les familles. « Aujourd’hui, on sponsorise les études de 300 filles. La plupart retournent dans leur famille après qu’on s’est assuré qu’elles ne seront ni mariées ni excisées. Mais beaucoup sont abandonnées. Une centaine habite donc au centre », détaille-t-elle. Il faut aussi s’occuper des nouveau-nés mis au monde par des adolescentes violées après le « perlage » : le centre prend soin de 45 nourrissons.

Josephine Kulea entourée des jeunes filles sauvée par Samburu Girls Foundation (DGF), l’association créée par la Kényane. | Josephine Kulea

L’engagement de Josephine Kulea vient de loin. Sa mère elle-même secourait des jeunes filles menacées de mariages forcés. « Je me souviens qu’à l’école primaire de mon village la classe se vidait semaine après semaine. Toutes mes copines étaient mariées de force et déscolarisées », se souvient-elle. Grâce à l’aide d’un prêtre, la jeune Joséphine échappe au sort des femmes de sa région et suivra des études à Meru puis à l’université de Nyeri, loin du pays samburu.

« Ma propre famille prie pour ma mort ! »

Son premier « sauvetage » suit la fin de ses études, en 2008. Son diplôme d’infirmière en poche, Josephine Kulea, apprend que l’une de ses petites cousines va être mariée à un sexagénaire. « Je suis venue in extremis le jour avant le mariage et j’ai réussi à la sauver », raconte celle qui subit ensuite les foudres de la communauté : « Ma propre famille a organisé des cérémonies traditionnelles, priant pour ma mort ! »

Depuis lors, Josephine Kulea multiplie les opérations de sauvetage, piochant dans son propre salaire pour payer la scolarité des jeunes filles secourues. Ni les hommes politiques locaux ni les églises ne lui sont venus en aide dans son combat. Les mutilations génitales sont pourtant totalement interdites par le droit kényan et critiquées par les religieux. « Mais ils ont peur de perdre des électeurs et des fidèles », enrage-t-elle.

Après dix ans de combat, la lutte commence à porter ses fruits. « Dans les centres urbains, les mariages forcés et les mutilations diminuent ou ne se font plus en plein jour », se réjouit Josephine Kulea, avant de rappeler que « malgré tout, à la campagne, les trois quarts des filles sont toujours mariées de force. » La SGF multiplie donc les programmes de sensibilisation à destination des hommes, des chefs de village et des policiers. « Le combat n’est pas terminé, admet-elle. Mais je garde l’espoir de voir un jour l’avènement d’une Afrique sans excision. Il faut que les femmes de ce continent apprennent à dire non. »