Au prix d’âpres et longues négociations avec plusieurs entreprises asiatiques, l’Agence des participations de l’Etat et Areva avancent dans la recapitalisation du groupe nucléaire – une étape essentielle avant d’obtenir le feu vert des autorités européennes de la concurrence sur le sauvetage du groupe en grande difficulté.

A l’issue d’un conseil d’administration, tenu jeudi 15 décembre au siège de La Défense (Hauts-de-Seine), son directeur général, Philippe Knoche, a annoncé que des « offres fermes » avaient été déposées, pour un montant de 500 millions d’euros, soit 10 % de l’augmentation de capital prévue. Ce sont des « investisseurs de premier plan », a indiqué M. Knoche sans les nommer. Mais il s’agit du tandem japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI)-Japan Nuclear Fuel Limited (JNFL), qui étaient en négociation avancée.

Cette opération s’inscrit dans le cadre d’un plan plus large prévoyant la scission d’Areva, créé en 2001 par le mariage de Framatome et Cogema, en deux entreprises distinctes. Baptisé NewCo, le « nouvel Areva » abritera les activités du cycle du combustible nucléaire (extraction et enrichissement de l’uranium, recyclage des déchets, démantèlement des centrales) et bénéficiera de 3 milliards d’euros pour renforcer son bilan et assurer son développement.

Areva n’est pas en position de force pour négocier

De son côté, Areva SA, qui doit gérer le passif comme celui du chantier du réacteur EPR finlandais d’Olkiluoto (OL3), sera recapitalisé à hauteur de 2 milliards d’euros, mais seulement par l’Etat. Quant à l’activité de fabrication et de maintenance des réacteurs (Areva NP), qui développe l’EPR et l’Atmea, elle va passer sous le contrôle d’EDF en 2017.

C’est sur la recapitalisation de NewCo, qui sera détenu à au moins 67 % par l’Etat, que portent les négociations. Bouclées avec les Japonais, elles se poursuivent avec le géant China national nuclear Corporation (CNNC), que M. Knoche s’est là encore refusé de citer. Un accord difficile à conclure dans un contexte où les partenaires potentiels profitent des faiblesses d’Areva, qui n’est pas en position de force pour négocier après avoir accumulé 10 milliards d’euros de pertes entre 2011 et 2015 et une lourde dette (7 milliards).

Pour autant, l’Etat actionnaire ne semble pas prêt à tout accepter. La gouvernance et les pouvoirs des nouveaux entrants sont visiblement au cœur de ces difficiles pourparlers. Philippe Knoche indique que « tous les investisseurs entreront aux mêmes conditions ». En clair, aucun partenaire étranger ne bénéficiera de droits différents.

Or, selon une source proche du dossier, CNNC réclame plus que les Japonais et un administrateur indépendant chinois, ce que refuserait l’Etat français. Un temps intéressé, le groupe kazakh Kazatomprom, partenaire d’Areva dans les mines d’uranium du Kazakhstan, s’est vu refuser son ticket d’entrée en novembre parce qu’il demandait des responsabilités opérationnelles dans NewCo, une entreprise stratégique au cœur de la filière nucléaire française (gestion du plutonium, etc.).

Le conseil d’administration d’Areva a décidé de convoquer une assemblée générale, le 3 février, pour entériner l’augmentation de capital d’Areva SA, en espérant avoir reçu d’ici là le feu vert de Bruxelles. Une autre assemblée générale devrait se tenir au même moment pour NewCo, a indiqué M. Knoche. Paris a déjà transmis les éléments du dossier aux autorités européennes de la concurrence. Mais il y a urgence.

Le site de Beaumont-Hague, dans la Manche, le 14 septembre 2015. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP

L’Etat français s’est engagé à apporter 4 milliards

Ses dirigeants reconnaissent que le groupe ne passera pas 2017 sans apport d’argent frais. Et que si la recapitalisation traîne, ils devront demander un prêt d’actionnaire à l’Etat. En revanche, Philippe Knoche a annoncé que, grâce à sa trésorerie, « Areva ne tirera pas sur le prêt-relais de 1,2 milliard d’euros » souscrit en février auprès de six banques (Crédit agricole, Crédit mutuel, BNP Paribas, Natixis, HSBC, Société générale).

L’Etat français, encore actionnaire d’Areva à 87 %, s’est engagé à apporter 4 milliards sur le total de 5 milliards de la recapitalisation. Pour obtenir le feu vert de la Commission, il est contraint de montrer qu’il est un investisseur avisé et que cet actif n’est pas un canard boiteux qu’il cherche à sauver coûte que coûte.

De son côté, le groupe a donné de sérieux gages à Bruxelles : plan d’économies drastique, suppression de plus de 5 000 emplois dans le monde, cession d’Areva NP pour 2,5 milliards d’euros et d’autres actifs, comme Canberra (appareils de mesure de la radioactivité), Adwen (énergies renouvelables) et Areva TA (moteurs des sous-marins nucléaires français). Cette dernière activité va être reprise à un peu plus de 50 % par l’Etat, l’autre moitié étant répartie entre le constructeur de navires militaires DCNS (20 %), le Commissariat à l’énergie atomique (20 %) et EDF (9 %).

Les analystes s’interrogent toujours sur les perspectives de NewCo. Il affiche un carnet de commandes solide (près de 33 milliards d’euros) et se situe dans les trois premiers mondiaux sur tous ses métiers. Mais plus de cinq ans après l’accident de Fukushima en mars 2011, M. Knoche estime que le marché nucléaire reste « difficile ».

L’entreprise pèsera deux fois moins que le groupe actuel, passant de 42 000 à 20 000 salariés et de 8 milliards à 4 milliards de chiffre d’affaires. Et il faudra attendre 2018 pour que la douloureuse restructuration de la filière nucléaire soit achevée autour d’EDF et d’Areva. Une période que leurs concurrents – notamment le russe Rosatom – mettent à profit pour décrocher de nouveaux contrats à travers le monde.