Un couple d’amoureux à Alep. | TWITTER

Leur photo passera peut-être à la postérité sous le titre des « amoureux d’Alep-Est ». Lui en jean et blouson, un bonnet sur la tête, la kalachnikov en bandoulière, et le bras passé dans le dos de sa promise ; elle en manteau bleu pétrole, le visage entouré d’un châle noir, incliné sur l’épaule de son protecteur. Le jeune couple, photographié de dos, fait face à un mur en ruine sur lequel un célèbre refrain de la diva libanaise Fayrouz a été tagué : « Nous reviendrons, ô amour. » Avec en guise de signature, cette date, au goût aigre de la défaite : 15.12.2016.

Ce jeudi-là, un mois jour pour jour après le lancement de l’offensive loyaliste visant à les bouter hors d’Alep-Est, les insurgés, qui avaient imaginé faire de ces quartiers la tête de pont d’une offensive vers Damas destinée à renverser Bachar Al-Assad, ont enterré leurs rêves. Par milliers, le regard dans le vide, parfois embué, ils sont montés dans la file indienne de bus verts et d’ambulances garés dans le sud d’Alep, en lisière de la nasse de deux ou trois kilomètres carrés, où les bombardements des troupes pro-Assad les ont peu à peu acculés. Une évacuation sans billet retour, à destination de la campagne à l’ouest d’Alep, une zone hors du contrôle gouvernemental.

Une détresse couchée sur les murs

C’est l’épilogue de quatre ans et demi de combats, d’espoirs et de désillusions et puis d’une lente agonie, sous les bombes et les privations. La perte d’Alep sonne le glas, de facto, des espoirs de l’opposition syrienne. Privée de son dernier bastion urbain, refoulée dans des zones rurales et des villes moyennes, l’insurrection menace de s’étioler, lentement mais sûrement. Conscients qu’une page de leur histoire se tourne, les insurgés, avant de monter dans les bus verts, ont chacun à leur manière fait leur adieu à Alep et peut-être aussi au soulèvement de 2011.

A l’image du cliché des amoureux, au romantisme révolutionnaire appuyé, beaucoup de militants ont choisi de coucher leur détresse sur les murs et les devantures des quartiers de Soukari et de Mashhad, l’ultime poche rebelle. « Au revoir mère », a écrit l’un d’eux, avec un spray à peinture, usant d’une formule typiquement alépine. « Aime-moi loin du pays de l’oppression, loin de cette ville qui s’est rassasiée de la mort », a tracé une autre âme fiévreuse.

Les adeptes de la vidéo ont posté sur les réseaux sociaux de courts films, pour exprimer les sentiments mêlés qui les habitent, le soulagement de sortir vivant d’un mois de pilonnage, qui a fait des centaines de morts, et la douleur du déracinement. « Nous nous sommes battus pour transformer la Syrie d’Assad en une Syrie libre, clame Salah Al-Ashkar, l’un des journalistes citoyens d’Alep, face à l’objectif de sa caméra. Personne ne nous a aidés. Et, comme vous le voyez maintenant, moi le fils d’Alep, je dois quitter ma ville malgré moi », ajoute-t-il, la gorge nouée.

L’un de ses camarades, Monther Etaky, a imprimé des centaines de tracts, pleins de formules assassines, adressés aux forces pro-Assad, qui investiront le dernier carré rebelle, sitôt le ballet des bus vert terminé. Il projette de les éparpiller dans la rue et d’en tapisser les murs, « pour leur rappeler qu’il y a eu une révolution ici et que même si l’on part ailleurs, notre mouvement n’est pas mort ».

Tirs contre une ambulance

Des enfants syriens assistent à une opération d’évacuation des quartiers rebelles d’Alep,  le 15 décembre. | GEORGE OURFALIAN / AFP

Après avoir entassé leurs effets personnels dans un sac aussi gros que possible, beaucoup d’insurgés ont choisi de mettre le feu à ce qu’ils ne pouvaient pas emporter ou à ce qui pourrait leur causer du tort, en cas de fouille de leurs bagages à un barrage des forces pro-Assad. Des piles de documents, des habits, des meubles, et même des voitures sont partis en fumée, projetant au-dessus de la ville des colonnes de fumée noire qui, pour une fois, n’étaient pas synonymes de bombardements.

Le premier convoi, composé de 20 bus et de 13 ambulances, s’est ébranlé jeudi en fin de matinée, après un incident mortel, qui, comme la veille, faillit faire capoter les opérations de transfert, agréées pourtant, dès mardi soir, par la Turquie et la Russie. Des tirs venant des positions progouvernementales ont criblé une ambulance, faisant un mort et trois ou quatre blessés, selon les sources, dont Bebars Mesha’al, le chef local des casques blancs, une organisation de secouristes.

C’est donc seulement en fin d’après-midi que le premier contingent d’évacués est arrivé à Atareb, un bourg agricole de la périphérie ouest d’Alep placé sous le contrôle de l’Armée syrienne libre, la branche dite « modérée » de la rébellion. Parmi les passagers, certains ont continué leur route jusqu’à Idlib, plus au sud, une région dominée par Jaysh Al-Fatah, une coalition salafisto-djihadiste. Les blessés dans l’état le plus critique ont été directement conduits au poste-frontière de Bab Al-Hawa, avant d’être transférés dans un hôpital turc.

Les autres déplacés se sont répartis entre les écoles d’Atareb, aménagées à la hâte pour les accueillir, et le domicile de particuliers, disposés à les héberger. « J’étais heureux qu’ils soient sortis vivants de cet enfer, raconte Abeer Hussein, une habitante d’Atareb, jointe par WhatsApp, qui a observé l’arrivée des Alépins depuis le toit de sa maisonnette. Mais eux avaient l’air si triste. Ils ressemblent aux Palestiniens de 1948 [date de la création d’Israël, qui a poussé à l’exode des centaines de milliers de Palestiniens]. Ils ne parlent que d’une chose, retourner sur leur terre, alors que leur exil commence à peine et qu’il promet d’être long et douloureux. »

Selon le Comité international de la Croix-Rouge, trois convois ont pu partir ce jeudi, contenant 3 000 personnes, des civils en grande majorité, et plus de 40 blessés. Les opérations d’évacuation des 50 000 autres candidats au départ, dont plusieurs milliers de combattants ne seront pas sans accroc et promettent de durer encore plusieurs jours.

Bachar Al-Assad annonce sur Facebook la « libération » d’Alep
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