Vue de l’allée principale du lotissement de la Tourelle à Maule (Yvelines) | J.H. Mora

Le communiqué, acerbe, interpelle les candidats à l’élection présidentielle. Dans une publicité pleine page, insérée, mardi 13 décembre, dans quatre quotidiens nationaux (dont Le Monde), l’ordre des géomètres-experts (OGE) dit tout le mal qu’il pense d’une des dispositions de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, promulguée le 7 juillet : la fixation d’un seuil de 2 500 m2 au-delà duquel le recours à un architecte est obligatoire pour établir le permis d’aménager d’un lotissement. Ce seuil, défini par les ministères de l’environnement et de la culture, doit faire l’objet d’un décret du Conseil d’Etat.

« Améliorer la qualité des projets d’urbanisme : c’était l’ambition et l’enjeu partagé de la loi, indique l’OGE dans son communiqué. En fixant, avec complaisance, un seuil particulièrement bas, à 2 500 m2, le gouvernement détourne l’esprit de la loi et rend ainsi systématique le recours à un architecte. » Après plusieurs navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat, le principe d’un seuil avait été arraché, au mois de juin, par une commission mixte paritaire du Parlement.

« La France moche »

Dans la réflexion sur l’amélioration des paysages périurbains, le permis d’aménager est une question majeure. Il touche à la frange des villes et des villages, qu’il s’agisse de lotissements résidentiels ou commerciaux. L’une des conséquences de leur essor a été, notamment, la désertification des centres-bourgs.

Dans sa présentation de la stratégie nationale pour l’architecture, en octobre 2015, Fleur Pellerin, alors ministre de la culture, évoquait un « modèle d’aménagement qui dénature chaque année davantage les paysages de notre pays ». L’univers pavillonnaire figurait dans ce constat ; ce qu’un article de Télérama de 2010 résumait d’un titre abrupt resté célèbre : « La France moche ».

Le 17 octobre, lors d’une concertation entre les acteurs de ce dossier, le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), associé au Syndicat national des aménageurs lotisseurs (SNAL), avait proposé que ce seuil soit fixé à 2 000 m2. De leur côté, les géomètres-experts avaient avancé les chiffres de 10 000 m2 pour les communes ne disposant pas de plan local d’urbanisme, et de 20 000 m2 pour les autres. Selon le CNOA, 2 000 m2 correspondent à 80 % des quelque 6 000 demandes annuelles de permis d’aménager.

« Intérêts corporatistes »

Pour l’ordre des géomètres-experts, l’architecte chargé de la conception des bâtiments « n’apportera à lui seul aucune garantie quant à la qualité des lotissements… mais augmentera avec certitude le coût des projets. Le gouvernement sacrifie ainsi l’urbanisme au profit d’intérêts corporatistes. »

Pour la présidente du CNOA, Catherine Jacquot, cette mise en garde assortie d’un vœu est paradoxale : « Cela fait quarante ans que les géomètres-experts font des lotissements sans le souci de la qualité, sans faire appel à d’autres compétences, a-t-elle déclaré au site Batiactu. Avec cette publicité, ils défendent leur marché, c’est tout. »

Pour donner du poids à leur publicité, les géomètres-experts ont joué sur l’ambiguïté des mots. Ils s’autoproclament ainsi « spécialistes de l’urbanisme » et « experts de l’aménagement des territoires », donnant à leur fonction l’idée d’une dimension créative. Alors que la définition officielle de leur métier parle d’une profession « qui identifie, délimite, mesure, évalue la propriété immobilière publique ou privée, bâtie ou non ».

L’implication des architectes dans le permis d’aménager n’entraîne pas pour autant la disparition des géomètres. « Ils sont indispensables à la fabrication des lotissements et aucun acteur de l’aménagement ne saurait le contester, encore moins se passer d’eux, précisait Catherine Jacquot, avant la concertation du mois d’octobre. En revanche, les géomètres ne sont pas des architectes, ils ne sont pas des paysagistes, ils ne sont pas des urbanistes. Les géomètres ne sont pas des concepteurs. »

Le CNOA a déjà préparé un programme de formation pour que ses adhérents puissent, dès janvier 2017, se plonger dans les arcanes juridiques du permis d’aménager. Les géomètres-experts, eux, doivent publier leurs propositions dans un Livre blanc destiné aux candidats à la présidentielle.