L’anarchiste Germaine Berton en 1921, accusée de l’assassinat du secrétaire de la Ligue d’action française Marius Plateau. Malgré ses aveux, elle sera acquittée. | DR/Archives de la préfecture de Police, Paris

Troublante concordance des temps. Le 30 novembre s’est ouverte aux Archives nationales l’exposition « Présumées coupables », consacrée aux grands procès faits aux femmes. Au même moment, l’actualité résonnait des cris de haine lancés à l’encontre d’une mère jugée avec son compagnon devant la cour d’assises du Puy-de-Dôme pour avoir frappé à mort Fiona, sa fillette de 5 ans.

À Riom, où se tenait le procès, une file chaque jour plus longue accueillait de ses vociférations l’arrivée et le départ en fourgon de cette mère qui cristallisait les passions mauvaises. On se pressait pour l’apercevoir, pour assister à un morceau d’audience comme on devait, un siècle plus tôt, s’agglutiner sur la place où le condamné était mis à mort.

La femme, « nimbée de la paix qu’elle se doit de maintenir voire d’établir dans la société (…), est d’autant plus coupable qu’elle se doit de ne pas l’être ». Claude Gauvard, auteure du livre « Présumées coupables »

Les réseaux sociaux qui, pendant deux semaines, avaient amplifié le tumulte et contribué à rendre plus pesante encore cette atmosphère de lynchage, se sont déchaînés à l’annonce du verdict. Ce dernier rendait le seul compagnon de la mère coupable des coups mortels et acquittait la mère de ce crime, alors qu’une peine de trente années de réclusion criminelle avait été requise contre les deux accusés.

Tout cela donne une acuité singulière au voyage à travers six siècles d’affaires judiciaires féminines que propose l’exposition parisienne « Présumées coupables ». Si les femmes ne représentent qu’une part marginale de la population pénale – de 4 à 5 % –, les crimes qui leur sont reprochés fascinent et dérangent.

Dans le très beau livre publié à l’occasion de cette exposition (Présumées coupables, une coédition L’Iconoclaste-Archives nationales, 320 p., 25 €), l’universitaire Claude Gauvard relève avec justesse que la femme « nimbée de la paix qu’elle se doit de maintenir voire d’établir dans la société (…) est d’autant plus coupable qu’elle se doit de ne pas l’être ». Les deux figures féminines les plus célèbres de l’histoire de France, Jeanne d’Arc et Marie-Antoinette, ont été « présumées coupables ».

Chasses aux sorcières

Au fil de l’exposition, sorcières, pétroleuses – le mot n’a pas d’équivalent masculin –, empoisonneuses, mères infanticides, traîtresses à la patrie revivent à travers une remarquable sélection d’iconographie et de procès-verbaux d’interrogatoires, d’« auditions de bouche » et de plumitifs d’audience.

Représentation (détail) d’un double infanticide commis en 1820 en Normandie par une fille d’auberge. | RMN-Grand Palais (MuCEM)/Frank Raux

Au début du XVIIe siècle, le magistrat Henry Boguet en est convaincu : le diable est le mal absolu et la sorcellerie est surtout une affaire de femmes. « Satan les connaît toutes, parce qu’il sait que les femmes aiment le plaisir de la chair », constate-t-il en Franche-Comté, où il juge de très nombreuses affaires de « chasse aux sorcières ».

On estime qu’environ 100 000 procès pour crimes de sorcellerie eurent lieu en Europe, pour lesquels sept femmes sur dix ont été condamnées à la torture et à la mort. Aux femmes accusées, on demande de décrire en détail leur copulation avec le démon. « Il eut compagnie avec elle sur une couchette, près de son poêle ; et elle reconnut que sa nature était fort petite et froide et elle ne sentit point qu’il fit aucune éjection de semence », répond en 1646 sous la question Adrienne d’Heur, de Montbéliard, âgée de 60 ans.

Parce que « sournois », l’empoisonnement apparaît comme le crime de femme par excellence.

La mère infanticide est, après la sorcière, un autre archétype du mal féminin. Les derniers mots prononcés par Anne Grumeau avant son exécution le 19 janvier 1640 sont pour « supplier la cour de juger plus doucement les pauvres femmes accouchées de leur enfant ». Il faudra attendre le XIXe siècle pour que la justice se montre plus clémente avec ces coupables et entrevoie la part de responsabilité de l’homme dans la solitude, la misère et la honte qui sont leur lot. Une autre figure menaçante pour l’ordre social est l’empoisonneuse, surtout quand l’arsenic ou la mort-aux-rats est mêlé aux vin, bouillon, œufs, pain, pâté et confitures servis au mari. Parce que « sournois », l’empoisonnement apparaît comme le crime de femme par excellence.

En 1943, à Pisciatello, en Corse, des patriotes corses coupent les cheveux d’une femme pour la punir d’avoir eu des relations sexuelles avec l’ennemi. | Time & Life Pictures/Getty Images

Plus près de nous, la « traîtresse » est indissociable des images de foule criant vengeance. À la richesse de l’iconographie sur la Libération et son cortège de femmes tondues – de la célèbre image de Robert Capa sur la « tondue de Chartres » tenant son bébé dans les bras à la photo bouleversante prise en Corse, à l’automne 1943, d’une jeune femme nue dont le bras replié tente de voiler ses seins à la vue des hommes qui coupent sa chevelure –, l’exposition ajoute là encore la richesse des procès-verbaux : l’interrogatoire de Corinne Luchaire, qui sera condamnée à dix ans d’indignité nationale pour avoir eu une liaison et un enfant avec un officier allemand, et celui, fameux, de Léonie Bathiat, dite Arletty, dont on apprend au passage qu’elle n’a pas prononcé sur PV le célèbre « Si mon cœur est français, mon cul est international », mais la phrase : « Otto Abetz m’a demandé de quitter Paris et de me rendre à Baden-Baden, j’ai refusé en lui disant que j’aimais mieux Paris-Paris. »

Livrées au jugement des hommes

Toujours « présumées coupables », ces femmes célèbres ou anonymes n’ont longtemps été interrogées et jugées que par des hommes. Même chez les accusées politiques – les communardes Louise Michel, Marie Leroy, Marie-Jeanne Moussu –, les hommes de loi traquent le diable, la vénalité et la débauche, ne voyant dans leur engagement que la manifestation de leur « surexcitation » et de leur « passion des romans-feuilletons ».

La justice compte aujourd’hui une majorité de magistrates. Ce ne fut pas sans méfiance que le corps les a accueillies. Lorsque, en 1945, une résistante, Marianne Verger, déléguée à l’Assemblée consultative, a soumis à ses pairs la proposition qui allait conduire à l’adoption de la loi du 11 avril 1946 ouvrant la magistrature aux femmes, il s’était trouvé parmi les délégués un homme, François Labrousse, pour suggérer de limiter leur accès aux tribunaux pour enfants et à la Cour de cassation, « dans une sphère de droit pur et abstrait ». Des fois que le diable réapparaîtrait sous leur robe de juge ?

Lire aussi : La féminisation de la magistrature n’atteint pas les plus hauts postes

« Présumées coupables » aux Archives nationales, hôtel de Soubise, 60, rue des Francs-Bourgeois, Paris 3e. Jusqu’au 27 mars 2017. www.archives-nationales.culture.gouv.fr