Donald Trump, le 15 décembre, à Hershey (Pennsylvanie). | DON EMMERT / AFP

Editorial du « Monde ». Etrange situation : un président élu envoie promener ses services de renseignement. Il les soupçonne de vouloir l’affaiblir en semant le doute sur les conditions de son élection ! Donald Trump contre CIA : c’est le dernier épisode, et des plus baroques, des aventures du prochain chef de l’exécutif de la plus puissante des démocraties occidentales. Il faut s’y faire, avec le promoteur immobilier new-yorkais, le fonctionnement des institutions de la République américaine risque d’être sérieusement perturbé. Avis de gros temps, au minimum.

Récapitulons. Il y a quelques jours, la CIA a dit que la Russie – l’Etat russe – avait pillé cet été les ordinateurs du Parti démocrate afin d’en exploiter les données non pas pour semer la confusion dans l’élection du 8 novembre, mais dans un dessein précis : favoriser le candidat républicain, Trump, aux dépens de son adversaire Hillary Clinton. Le pillage et l’exploitation des ressources ainsi volées par la grâce de WikiLeaks étaient connus depuis longtemps. Les services de renseignement américains avaient assuré, « avec un haut niveau de confiance », dès la fin de l’été, par la bouche d’un de leurs patrons, James Clapper, que l’Etat russe en était responsable.

Les analystes de la CIA affirment donc maintenant que l’objectif de Moscou était de faciliter, si possible, l’élection de Donald Trump. Nuance : la CIA ne dit aucunement que la démocrate a été battue à cause de cette opération. A l’exception de l’intéressée, personne au Congrès ni dans la presse ne doute que Mme Clinton a perdu du seul fait de ses propres faiblesses, pas à cause du pillage des banques de données du Parti démocrate.

Mesures de rétorsion

Mais le président élu est susceptible, sur la défensive. En suffrages populaires, Mme Clinton le devance de près de 3 millions de voix. C’est beaucoup. Donald Trump dénonce un coup de la CIA pour dévaluer sa victoire dans le seul collège qui compte, celui des grands électeurs, alors que ceux-ci doivent se réunir lundi 19 pour émettre un vote définitif en faveur du républicain – qui sera sans surprise.

Ce faisant, le président élu a stupéfié toute la classe politique. La CIA peut légitimement être soupçonnée d’avoir déjà eu recours à nombre de coups fourrés. Mais, là, Barack Obama comme les élus du Congrès, démocrates et républicains, qui ont eu sous les yeux les documents fournis par l’agence à l’appui de ses accusations, n’ont pas de doute, au moins sur un point : c’est bien l’Etat russe qui a piraté les ordinateurs du Parti démocrate. M. Obama a annoncé des mesures de rétorsion.

Sur les bancs du Congrès, une bonne partie des élus commencent à être exaspérés par la façon qu’a Donald Trump de ne prêter au Kremlin que des intentions angéliques au service d’une politique extérieure bien évidemment irénique. Pourquoi tant d’égards et de sollicitude ? Pourquoi deux postes-clés, la tête du département d’Etat et le fauteuil de conseiller pour la sécurité à la Maison Blanche, attribués à des hommes qui passent pour avoir eu des intérêts en Russie ? Certains républicains ne seront pas des plus tendres lorsqu’il s’agira de « confirmer » le gouvernement de Donald Trump.

Cruel, le New York Times concluait ainsi son éditorial du vendredi 16 décembre : « Il ne saurait y avoir d’“idiot plus utile, pour reprendre une expression de Lénine, qu’un président américain qui ignore qu’il est gentiment manipulé par une puissance extérieure retorse. » Et Donald Trump n’est pas encore à la Maison Blanche !