« J’ai refusé de servir de décor. Je voulais être à la hauteur de mes responsabilités et remplir mes fonctions en toute indépendance » : Hisham Geneina, l’ancien président de l’Autorité centrale d’audit d’Egypte, l’équivalent de la Cour des comptes en France, proclame ainsi son intégrité avec la nostalgie du haut fonctionnaire déchu. Dans un pays où les organismes publics ne sont parfois qu’une façade démocratique, ce juriste de haut rang est accusé d’avoir déstabilisé l’Etat en exagérant l’ampleur du coût de la corruption.

Condamné en première instance par un tribunal du Caire en juillet 2016 à un an d’emprisonnement pour ses déclarations « qui troublent la paix publique, provoquent la panique de la population ou nuisent à l’intérêt public », cet ancien magistrat de 63 ans attend désormais son jugement en appel qui sera rendu jeudi 22 décembre.

« La raison principale de ce procès réside dans la culture des responsables politiques qui n’envisagent pas que les détenteurs du pouvoir puissent être soumis à la critique et qu’ils fassent l’objet de révélation sur les infractions qu’ils auraient pu commettre », déclare Hisham Geneina, dans le salon de la luxueuse villa de sa fille Shorouk, située à Togamoe El Awel, une nouvelle banlieue résidentielle du Caire.

C’est un article publié en décembre 2015 par le journal privé Al Youm Al Sabaa qui provoque l’ire du pouvoir égyptien. On y apprend que, selon Hisham Geneina, la corruption aurait coûté à l’Etat plus de 600 milliards de Livres égyptiennes (environ 60 milliards d’euros au cours de l’époque) depuis l’entrée en fonction en mai 2014 du président Abdel Fattah Al Sissi. Des déclarations inacceptables pour les partisans du maréchal qui a pris le pouvoir un an après le renversement en 2013 par l’armée du président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans. Hisham Geneina, assure pourtant que le journal n’a pas fidèlement retranscrit ses propos, le montant cité correspondant selon lui à toute la période 2012-2015.

Connivence notoire

« En l’absence de rectification, je considère que le journal Al Youm Al Sabaa a intentionnellement dénaturé les propos de mon client », accuse aujourd’hui Me Ali Taha, l’avocat de Hisham Geneina. Pour ce dernier, la connivence notoire entre ce grand quotidien privé et l’appareil d’Etat alimente l’hypothèse d’un guet-apens contre celui qui a osé s’immiscer dans les comptes des ministères, de la police et de l’armée. L’auditeur en chef est ainsi tombé sous le coup de la loi contre la propagation de fausses nouvelles, régulièrement utilisée à l’encontre des journalistes.

Hisham Geneina n’a pourtant ni le profil d’un lanceur d’alerte, ni le pedigree d’un activiste chevronné. Fils d’un ancien président du prestigieux Club des juges, il devient lui-même juriste au sein d’une élite privilégiée. Officier de police au début de sa carrière, il deviendra président de la Cour d’appel du Caire. Il est nommé en 2012 président de l’Autorité centrale d’audit, sous la présidence de Mohamed Morsi. « J’ai été attaqué très violemment, s’insurge l’ancien magistrat. On m’a accusé d’être un Frère musulman, d’appartenir à la brigade Salah Eddin [un groupe de résistance armée de Gaza], tout ça parce que le père de ma femme est d’origine palestinienne. C’est une vraie campagne de diffamation pour remettre en cause mon patriotisme ».

L’actuel président Al Sissi a mis officiellement un terme aux fonctions de Hisham Geneina en mars 2016. Quelques semaines plus tard, sa fille de 28 ans, Shorouk Geneina, sera aussi renvoyée de l’administration judiciaire où elle travaillait. Depuis, le regard affligé et la moustache clairsemée de l’ancien magistrat alimentent régulièrement les colonnes de la presse la moins acquise au régime égyptien.

« Décision politique »

S’il voit dans son éviction par le président Al Sissi une « décision évidemment politique », Hisham Geneina refuse néanmoins de se poser en figure de l’opposition. Avec sa mise au ban de l’élite étatique, les messages de soutien ne manquent pas et certains le considèrent même comme un candidat sérieux pour la présidentielle de 2018. L’ancien haut fonctionnaire compte aussi des détracteurs, qui ironisent sur son parcours de membre de l’oligarchie ayant toujours joui de privilèges et se pensait, de ce fait, intouchable.

« Il ne s’agit pas de catégoriser entre les « pour » et les « contre », les bons et les mauvais, balaie doctement Hisham Geneina. Il s’agit d’Etat de droit ». Et à ces détracteurs, il répond avec l’assurance du juriste : « Si j’ai commis des erreurs, je veux bien être jugé en vertu de principes juridiques et constitutionnels et non sur la base d’un décret présidentiel illégal ».