Divines fleurs de la maison Chanel

Un champ d’« Iris pallida », baptisés « Sweet Iris » par les Anglais. | Pierre Even

Lionel Paillès, spécialiste des parfums, a emmené le photographe Pierre Even en Provence, non loin de Grasse, dans la vallée de Pégomas. C’est là que la famille Mul cultive pour les parfums Chanel Rosa centifolia, le jasmin de Grasse, la tubéreuse, le géranium rosat et Iris pallida. Surprise, ils en ont rapporté un vrai livre sur les jardins ! Ou plutôt six, puisque chaque fleur a son volume, en plus du texte d’introduction. Là où l’on craignait une énième entreprise de promotion, le coffret Dans les champs de Chanel est un ouvrage aussi sérieux qu’élégant, bourré de références botaniques précises, voire érudites, et parfois même de conseils pratiques, comme ces pages admirables consacrées à la greffe du jasmin. « Si on a des fleurs, nul besoin de Dieu », disait Fernando Pessoa, cité dans ces pages. Il y a pourtant du divin dans la beauté entêtante des champs de Pégomas. Un magnifique cadeau pour les amoureuses, et les amoureux, des fleurs et des parfums. T. Dou.

Dans les champs de Chanel. A Pégomas, en pays de Grasse, Lionel Paillès, photographies de Pierre Even, La Martinière, six livres reliés sous jaquette-bandeau dans un coffret, 316 pages, 100 €.

Des histoires d’arbres

Les superbes photographies en noir et blanc d’Antoine Herscher nous montrent des arbres. Des arbres ordinaires pour la plupart – un petit nombre d’entre eux seulement pourraient être qualifiés de « remarquables », en raison de leur forme, de leur taille imposante ou de leur grand âge supposé. Ils ne sont pas identifiés – même si l’on reconnaît ici des platanes, là un pin… Seuls figurent en légende le département ou la région – principalement dans le sud de la France – et l’année de la prise de vue. Ainsi le regard ne s’attache qu’au sujet. Chaque photographie est une scène, raconte une histoire. Une histoire d’arbre(s) – dans une plantation, sur un bord de route, dans un bosquet, dans un sous-bois, une forêt ou un massif… D’où sourd parfois l’étrange, l’inquiétant même. Car leurs formes tordues semblent habitées par quelque esprit malin. Mais il arrive aussi à ces arbres photographiés avec sentiment d’être un support à la rêverie, à la mélancolie. Quand ne pointe pas la surprise, l’amusement, voire la cocasserie. Car, à défaut de pouvoir parler, les arbres nous disent bien des choses… L. Je.

Arbor, photographies d’Antoine Herscher, précédées d’un texte de Jean-Paul Curnier, Actes Sud, 96 p., 25 €.

Un dico pour la garrigue

Un ciste cotonneux en fleur. | Maurice Reille

Aider « les amoureux de la garrigue à reconnaître et nommer les végétaux de ce milieu méditerranéen si diversifié », telle est l’ambition, humble et enchanteresse, de ce dictionnaire. Son auteur, Maurice Reille, est un véritable savant dont la culture botanique semble sans limite. Quand il n’enseigne pas la biologie végétale, il arpente la campagne de l’Hérault, du Gard et de la Lozère. Il tire de ces promenades des descriptions soignées, précises, photos à l’appui. Amoureux des mots, il a rédigé un index des noms français et un autre des noms latins, et surtout une indispensable liste alphabétique des familles et espèces afférentes, qui permet à l’amateur d’orpins et de sedums de les retrouver à « Crassulacées » et à l’étourdie de se souvenir que le frêne, le jasmin, le troène et l’olivier sont tous des oléacées. Un outil indispensable pour les randonneurs ou pour les heureux propriétaires d’un jardin sec en Languedoc. T. Dou.

Dictionnaire visuel des plantes de la garrigue et du Midi, Maurice Reille, Ulmer, 312 p., 29,90 €.

La mélancolie de statues oubliées

Le jardin Renaissance de Bomarzo, situé au nord de Rome, ont fasciné tous ceux, artistes et écrivains, qui ont pu le visiter depuis sa redécouverte, au siècle dernier. Les surréalistes, André Breton en tête, ont admiré ses statues étranges. Salvador Dali s’y est fait filmer. André Pieyre de Mandiargues a écrit sur ses « monstres », Brassaï les a photographiés, Antonioni les a filmés… Appelé « Bosco sacro » – le « bois sacré » des jardins antiques –, avant de devenir le « Parco dei Mostri », le jardin a été conçu dans la seconde moitié du Cinquecento à la demande de Vicino Orsini, membre d’une illustre famille de la Péninsule. Il comptait des dizaines de statues à thème mythologique ou fantastique et des « fabriques », dont la fameuse Maison penchée ou le tempietto, temple de l’Eternité. Dans ce Bomarzo, les photographies en noir et blanc de François Sagnes donnent à voir la mélancolie de ces statues oubliées qui ont traversé les siècles en gardant une part de leur mystère. Gilles Polizzi, dans un essai introductif érudit, évoque Le Songe de Poliphile, un ouvrage allégorique qui a inspiré les créateurs du jardin. L. Je.

Bomarzo. Poétiques d’un jardin italien, essai de Gilles Polizzi, photographies de François Sagnes, Créaphis, 228 p., 38 €.

Emotions normandes

Entre pluie et soleil, la terre de Normandie est un paradis pour les jardins. Normandie. Jardins d’émotions présente vingt-six jardins remarquables, dessinés et plantés sous Louis XIV pour les plus anciens ou dans les années 1980 pour les plus récents. Le texte de Jean-Marie Boëlle s’enflamme au souvenir de la grande paysagiste anglaise Gertrude Jekyll quand il arpente le Clos Normand, à Varengeville-sur-Mer. Les photographies de Laurence Toussaint magnifient la parfaite rigueur d’un jardin qui borde la Seine ou glorifient le génie français dans le parc du château de Didier et Barbara Wirth, à Saint-Gabriel-Brécy, qu’elle saisit aux premières heures du jour. Plus inspirant que pratique, plus rêveur que documenté, ce beau livre fait la part belle aux châteaux, mais les détails d’une haie ici, d’un potager là, ou encore d’une glycine plantée par Russell Page à Fontaine-la-Soret sont autant d’idées à domestiquer. T. Dou.

Normandie. Jardins d’émotions, Jean-Marie Boëlle, photographies de Laurence Toussaint, Editions des Falaises, 176 p., 29 €.

Un voyage dans le temps

De l’aconit au zizyphus (dont le nom est moins immédiatement évocateur que le yucca du sous-titre), l’ouvrage d’Hélène Tierchant égrène le chapelet de Ces plantes qui ont marqué l’Histoire. Belles, les plantes le sont souvent, inquiétantes aussi, surprenantes parfois. Et associées de tout temps à ces événements qu’on dit « historiques ». L’Irlande a ainsi adopté le trèfle. Les syndicats ouvriers ont fait de l’églantine le symbole de la journée de huit heures. Et les poilus de la guerre de 14 se sont identifiés au bleuet. Quant à la diversité du monde végétal, elle ne cesse de nous étonner – de l’éphémère coquelicot à l’imposant séquoia plusieurs fois millénaire. Les talents de conteuse de l’auteure font ici merveille pour évoquer les senteurs mortifères d’Aconitum napellus ou la postérité d’un jujubier de Palestine dont le nom scientifique, transparent, est Ziziphus spina-christi. Le voyage est captivant de bout en bout, des navires phéniciens en bois de cèdre (Cedrus libani) aux ballots de thé britannique jetés à la mer par les colons américains, à Boston, en 1773, en passant par l’hévéa (Hevea brasiliensis) faiseur de fortunes et… de faillites. L. Je.

Ces plantes qui ont marqué l’Histoire. Des bombes à l’aconit au yucca des mormons, d’Hélène Tierchant, Ulmer, 192 p., 22 €.

Jean Mus, roi de la Côte d’Azur

A Saint-Jean-Cap-Ferrat, une piscine suspendue, cachée par un grand olivier. | Philippe Perdereau

Sous la double influence de Ferdinand Bac et de Russell Page, « l’un pour la théâtralité du jardin, l’autre pour son tracé », Jean Mus est devenu un des paysagistes les plus fameux de la French Riviera. Le livre de Dane McDowell et du photographe Philippe Perdereau nous entraîne d’une propriété à l’autre au fil des pages : oliviers, cyprès, lavandes, pins et palmiers sont les piliers du paysage méditerranéen français, profondément ancré dans cette aridité paradoxalement luxuriante qui fait de la Côte d’Azur un miracle permanent. La note contemporaine est apportée ici par une bordure de Westringia, là par un massif de Teucrium. Architecte rigoureux, Jean Mus travaille au service d’un mode de vie qui louche à l’occasion vers la Californie. « Ah ! la piscine ! », a-t-on envie de crier parfois. Les taches bleues sont le seul regret de ce beau livre, qui trivialisent toutes les photographies qui les représentent, faisant de chaque page sans elles un havre de paix pour l’œil. Notons que Flammarion réédite un ouvrage de 2005 consacré au paysagiste (Jean Mus. Jardins secrets de Méditerranée), qui met en scène un goût plus classique, et sans doute plus humble, grâce aux admirables photographies de Vincent Motte. T. Dou.

Jean Mus. Jardins méditerranéens contemporains, Dane McDowell, photographies de Philippe Perdereau, Ulmer, 192 p., 45 €.

L’incroyable poésie du monde végétal

Francis Hallé a enseigné la botanique à la faculté de Montpellier. Il a aussi parcouru le monde pendant cinquante ans, principalement dans sa large bande intertropicale, au cours de nombreuses missions. Parmi celles-ci, l’exploration de la canopée des forêts tropicales de Guyane, du Gabon ou du Laos, grâce à l’ingénieuse invention technologique du radeau des cimes, a été une véritable aventure scientifique. Mais Francis Hallé a aussi un talent particulier : celui de savoir observer et d’arriver à restituer, grâce à la simplicité apparente du dessin, les formes végétales les plus complexes.

Ce sont ainsi quelques centaines d’entre elles – parmi les quelque 24 000 dessins et pages de carnet de terrain qu’il a réalisés en forêt tropicale ou dans les jardins botaniques du monde entier – qui nous sont données à voir dans ces deux fort beaux volumes. La rigueur de la démarche scientifique n’en est jamais absente, mais l’incroyable poésie du monde végétal ne manque pas de nous surprendre à chaque page. L. Je.

Francis Hallé. 50 ans d’explorations et d’études botaniques en forêt tropicale (avec une préface de Patrick Blanc) et Francis Hallé. 50 ans d’observations dans les jardins botaniques du monde (avec une préface de Gilles Clément), Museo, 366 p., 39,50 € chaque volume.

Le cinéma, côté jardin

Jean-Claude Brialy et Fabrice Luchini, au bord du lac d’Annecy, dans « Le Genou de Claire ». | Les Films du Losange

La somme est imposante : 480 pages – et moins de dix images. Le fantastique Jardins du cinéma de Michel Berjon est ici un peu par effraction. Car ce n’est pas à proprement parler un beau livre, mais un essai foisonnant qui tente une recension encyclopédique des apparitions du jardin au cinéma. C’est le jardin comme personnage qui intéresse l’auteur. Berjon cite trois cents films, parmi lesquels cent « constituent une filmographie de base sur le sujet », au sein desquels il isole dix-huit titres qu’il juge « les plus importants ». Edward aux mains d’argent, Le Genou de Claire, Loin du paradis ou encore Mon oncle font partie de ces films essentiels qui offrent aux jardins, aux jardiniers et à ceux qui les aiment une place de choix. Car ici le jardin est d’abord une chambre d’amour, le lieu où se nouent les passions, se cachent les secrets et se révèlent les sentiments. On ne s’étonnera pas de l’importance de Stanley Kubrick en la matière. Les lignes consacrées au labyrinthe de Shining, planté sur une terre volée aux Indiens, sont passionnantes. Livre érudit, unique dans son projet, ce Jardins du cinéma fera référence. T. Dou.

Jardins du cinéma, Michel Berjon, Editions Petit Génie, 480 p., 29 €.

Une source d’inspiration

Ayant accompagné l’exposition « Jardins d’Orient. De l’Alhambra au Taj Mahal », qui s’est tenue à l’Institut du monde arabe en 2016, ce catalogue est source d’émerveillement. Le champ qu’il embrasse est immense : de l’Inde moghole aux jardins d’Al-Andalus. La période qu’il parcourt est elle-même infinie : de l’apogée des civilisations du Croissant fertile à la ville moderne de demain, en passant par des réalisations contemporaines aussi spectaculaires que le parc Al-Azhar du Caire. Il évoque aussi une « fascination réciproque », qui va du Moyen Age à la période coloniale. Ainsi, il est impossible de « lire » un jardin occidental sans faire référence à la tradition du jardin arabo-musulman. Le découpage en carrés des jardins médiévaux, avec leurs fontaines centrales, n’est-il pas décalqué du plan des « jardins de paradis » ? Les broderies des jardins classiques du Grand Siècle ne sont-elles pas directement inspirées des… arabesques ? Et jusqu’à la tulipe, si « hollandaise », mais pourtant perse avant que d’être ottomane… L. Je.

Jardins d’Orient. De l’Alhambra au Taj Mahal, sous la direction d’Agnès Carayon et Sylvie Depondt, Snoeck/Institut du monde arabe, 212 p., 25 €.