« Tous les Chefs d’Etat assisteront à l’investiture, le 19 janvier, du président élu Adama Barrow, conformément aux dispositions de la Constitution gambienne. » Dans un communiqué à l’issue du sommet annuel de la Communauté Économique d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le 17 décembre à Abuja (Nigeria), la sous-région a réitéré son fort engagement auprès du président élu de Gambie, Adama Barrow.

Mais Yahya Jammeh, autocrate en place depuis vingt-deux ans, ne veut plus quitter le palais présidentiel de Banjul. Le 13 décembre, dans une allocution à la télévision nationale, le « Gardien en chef de la Constitution Sacrée de Gambie », l’un de ses nombreux titres officiels, s’en est justement remis à la loi dont il se veut garant, refusant dans leur totalité les résultats des élections, dénonçant des « erreurs inacceptables » de la commission électorale, et déposant dans la foulée un recours à la Cour suprême de Gambie.

« Cette histoire de Cour suprême est une aberration légale ! », peste Amadou, un marchand de cartes de SIM dans la capitale. A Banjul en effet, un seul magistrat, Nigérian, préside la plus haute magistrature du pays, les quatre autres juges - requis par la Constitution gambienne - ayant soit été démis de leur fonction par le régime, soit démissionné. Le dernier président de la Cour, le pakistanais Ali Nawaz Chowhan, a ainsi renoncé à son poste trois mois après sa nomination, en mars 2015, s’en prenant dans la presse pakistanaise à « l’environnement judiciaire gambien dans lequel je ne peux travailler ».

Etau diplomatique

« Si, en temps normal, le droit à un recours existe bel et bien, le fait est qu’il n’existe à l’heure actuelle pas de panel de magistrats habilités à siéger à la Cour suprême, a martelé, le 12 décembre, l’Association des avocats gambiens dans un communiqué, dénonçant la partialité de la Cour : Aujourd’hui, cela serait contraire à tous les principes de la justice que le président sortant nomme des magistrats à la Cour suprême, lesquels seraient chargés d’examiner un recours déposé par lui ou en son nom. »

A l’instar des avocats gambiens, la quasi-totalité de la société civile gambienne, y compris les plus anciens alliés du pouvoir en place, comme le Conseil musulman, a prêté allégeance au nouveau président élu, Adama Barrow.

Quelle issue peut imaginer Yahya Jammeh, lâché par son peuple et la communauté internationale ?

Bien que l’étau diplomatique se resserre de plus en plus autour du président sortant, l’armée demeure pour l’instant de son côté, et rien ne semble pouvoir le déloger de son palais de Banjul. « Il va vouloir rester le plus longtemps au pouvoir, et tant que la menace militaire n’est pas sérieuse, rien ne l’en empêche », analyse un observateur avisé de la crise gambienne.

Intervention militaire

Cette solution de l’intervention militaire a bien été soulevée le 12 décembre par Marcel Alain de Souza, président de la Commission de la Cédéao, mais sa déclaration a vite été atténuée par les ténors de la région, personne ne souhaitant voir le pays s’embraser. « (Jammeh) doit être conscient des risques et des conséquences très dramatiques qui pourraient subvenir en Gambie si jamais il doit s’entêter », a ainsi déclaré, plus sobre, Macky Sall, président du Sénégal, sur RFI lundi 19 décembre.

« Comme nous l’avons fait par le passé et étant donné l’intransigeance de Yahya Jammeh, nous appelons les Etats-Unis et les Nations Unies à émettre des sanctions sur des hauts dignitaires du régime », leur répond Jim Wormington, chercheur à Human Rights Watch, qui voit en ces sanctions un possible moyen d’affaiblir le régime et, in fine, de pousser Jammeh vers la sortie. Pour l’heure, si aucun nom n’a filtré, certaines figures de proue du camp Jammeh pourraient être visées, au sein de l’armée et de la garde présidentielle, notamment.

Refus du Maroc

« Une fois qu’il sera dans un coin et ne pourra plus rien faire, Jammeh partira, loin », analyse un second observateur. « Il veut partir, mais personne ne veut l’accueillir », rétorque un proche du président, dans un aveu d’impuissance. Selon des sources concordantes, le Maroc lui aurait d’ores et déjà refusé l’accueil, alors que le président sortant se serait aussi tourné vers la Mauritanie, l’Arabie Saoudite, et la Guinée Conakry, pour l’instant sans succès. « Jammeh n’a aucun soutien sur le continent à part le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (rebellion indépendantiste casamancaise, soutenue dans le passé par Jammeh) », explique en guise de réponse un diplomate français.

« Ce n’est pas impossible qu’il veuille partir d’Afrique, pour s’éviter un scénario à la Hissène Habré », analyse pour sa part Niklas Hutlin, chercheur à l’Université George Mason (Virginie), et spécialiste de la Gambie. L’ancien président tchadien, entre 1982 et 1990, a en effet été jugé par une juridiction intra-africaine, une première sur le continent, et reconnu coupable de crimes contre l’humanité. Mais Yahya Jammeh est encore au pouvoir, et ni l’heure de la fuite ni celle d’une possible poursuite en justice n’ont encore sonné. Même si le nouveau président élu Adama Barrow attend aux portes du palais.