Des gens viennent se recueillir devant l’église du Souvenir, à Berlin-Ouest, le 20 décembre 2016. | JOHN MACDOUGALL / AFP

Il y a deux semaines, Danny se baladait sur cette place de Berlin sans arme ni uniforme. « En civil », dit le jeune homme de 28 ans. Mais, mardi 20 décembre au soir, il est en tenue de travail. Au lendemain de l’attaque qui a causé la mort de douze personnes, toutes fauchées par un camion, le voilà de retour sur la Breitscheidplatz. Face à lui, l’église du Souvenir, devant laquelle le véhicule a fini sa course, et dont l’identité du chauffeur reste encore inconnue, alors que l’organisation Etat islamique a revendiqué l’attaque mardi soir.

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Une journée aura donc suffi. Quelques heures à peine pour transformer en lieu de pleurs cette place que les Berlinois appréciaient jusque-là, à chaque mois de décembre, pour y flâner sur son marché de Noël. « J’y étais pour me promener, boire du vin chaud, manger des Bratwurst », se souvient le policier. Pour lui, les seuls dangers prenaient alors les traits de « pickpockets » susceptibles de détrousser « les nombreux touristes, pas mal de Français, d’Anglais », qui se mêlent d’ordinaire aux Berlinois.

Une attaque au cœur de Berlin

L’attaque a visé le « cœur » de Berlin, titre le tabloïd local BZ, dont les gros titres et les nouvelles de l’enquête en cours défilent aussi sur les écrans des rames de métro. Le cœur de Berlin-Ouest, plus exactement. Juste à côté, le Kufürstendamm, souvent considéré comme l’équivalent des Champs-Elysées. Le « Kudamm », comme l’appelle Aynur Demir, 45 ans, « d’origine turque mais née et élevée à Berlin. » De confession musulmane, cette Berlinoise aimait elle aussi se promener sur le marché et y « manger ou boire » dans les stands aujourd’hui ravagés.

A l’intérieur d’un restaurant, cette femme de ménage mange un bol de nouilles. De l’autre côté de la vitre, dans la froidure hivernale, des dizaines de Berlinois se relaient pour honorer la mémoire des défunts. « J’ai tenu à venir pour apporter une rose et une bougie. Je me promène souvent ici pour faire des achats. Ici, je peux tout trouver dans les centres commerciaux. » Cette Berlinoise habite Wedding, un quartier plus excentré, plus défavorisé, aussi. Mais elle vient jusqu’ici pour le gigantisme du « KaDeWe », pour Kaufhaus des Westens (centre commercial de l’Ouest).

Banque, restaurant, hôtel de luxe. A proximité du jardin zoologique et de sa station de métro toujours aussi fréquentée, les environs de la Breitscheidplatz avaient déjà cette image du temps où un mur séparait l’Allemagne entre Est et Ouest. « Pour moi, ce quartier représentait une liberté de consommation, une liberté de shopping, tout ça », dit Ricardo König, 33 ans, qui a grandi à Berlin-Est. « A la chute du Mur [en 1989], c’est ici que j’ai fait mes premiers achats à l’Ouest... des chocolats », croit se souvenir l’enfant de l’ex-République démocratique allemande.

« Il y a de nouveau la “guerre” »

Devant un verre de vin, certains ont peu l’envie de chercher des explications. Julia Kühne se remet à peine de la scène à laquelle elle raconte avoir assisté hier : « Le bus dans lequel je me trouvais roulait juste derrière le camion, alors j’ai tout vu », assure cette productrice de 29 ans. Plutôt que de chercher une explication symbolique au lieu de l’attaque, elle soupire : « Il y avait peu de policiers, alors, pour un camion, facile de rouler jusqu’au marché de Noël... »

« Sous le choc », Mme Kühne a ressenti le besoin de revenir sur place en compagnie de proches. 18 heures. Les cloches de l’église du Souvenir résonnent. « Une église particulière », ajoute son amie Lisa Durhack, 26 ans, enseignante. La seconde guerre mondiale avait laissé ce lieu de culte dans un état de désolation. « L’église symbolise les ruines de la guerre. » Un soupir, puis : « Et maintenant, il y a de nouveau la guerre ». Des guillemets pour tout dire. L’effroi d’une ville où, hier au soir, on fêtait encore l’Avent.

Sur la place Breitscheid, nommée ainsi en 1947 en hommage à Rudolf Breitscheid, un dirigeant social-démocrate, tué par les nazis trois ans plus tôt à Buchenwald, un pasteur de Pankow et quelques fidèles ont fait le déplacement pour jouer des airs à la gloire de Dieu, sous la bannière en anglais « Pray for Berlin ». Un lieu où le cri d’un homme perce parfois le silence pour dire « Merkel doit partir ! », façon d’attribuer à la chancelière la responsabilité des événements. « Elle n’y peut rien », réplique à voix basse Ihbo Ziegler, 39 ans, parmi la foule silencieuse.

Attentat de Berlin : les habitants se recueillent au lendemain du drame
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