Le mésangeai du Canada est décrit comme intelligent, résistant et peu farouche. Surtout, il est présent toute l’année sur l’ensemble du territoire canadien. | Don Johnston/Age Fotostock

Y avait-il trop d’oiseaux pour en choisir un seul ? À qui attribuer l’oubli ? Le mystère reste entier : pourquoi le Canada n’a-t-il pas d’oiseau national, comme les États-Unis ont l’aigle à tête blanche et la France le coq ? Nul ne sait l’expliquer, pas même au ministère du patrimoine canadien, responsable des symboles de la confédération. Au terme d’un long processus, enclenché par la Société géographique royale du Canada, le poste vacant devait être comblé début 2017, à temps – espérait-elle – pour les célébrations du 150anniversaire du pays. Mais Ottawa tergiverse. Peut-être parce que le projet plaisait trop à Stephen Harper, prédécesseur du premier ministre Justin Trudeau. Ou parce que ce dernier n’est pas convaincu que l’oiseau retenu est le bon.

Il a fallu deux ans de débats passionnés pour que le choix de la Société géographique s’arrête sur le mésangeai du Canada – aussi appelé geai gris ou, en anglais, whiskey jack ou grey jay. La « une » du numéro de décembre de son magazine, le Canadian Geographic, s’orne d’une photo du gagnant. Sauf qu’on est loin du but, l’État fédéral refusant d’entériner la décision. « Pour l’instant, le gouvernement n’a pas l’intention de considérer l’adoption d’un oiseau à titre de symbole national », explique de manière laconique le ministère du patrimoine canadien.

Le canard s’est fait déplumer

L’affaire était pourtant bien engagée, avec un réel engouement populaire pour le sujet. Le Canadian Geographic avait lancé le bal en 2015 avec une vaste consultation pour sélectionner un oiseau parmi plus de 450 espèces fréquentant le territoire canadien. La tache était ardue. Il fallait trouver un oiseau présent dans les treize provinces et territoires et, si possible, qui n’ait pas déjà été choisi par l’un d’eux comme emblème !

Le plongeon imbrin (dit aussi plongeon huard) est l’animal qui a remporté le plus grand nombre de suffrages auprès des Canadiens. Mais qui ne devrait pas devenir l’emblème national pour autant. | Minden Pictures / Connor Ste / (c) Minden Pictures / Connor Stefanison / BIA / Biosphoto

Pour mener à bien son projet, la revue a fait voter les Canadiens. Le dépouillement des 50 000 votes a permis de dresser en août dernier une liste de cinq finalistes. Le plongeon huard, canard au cri envoûtant, est arrivé en tête, avec près de 14 000 votes, suivi par le harfang des neiges (près de 9 000 votes), le mésangeai du Canada (près de 8 000 votes), puis la bernache du Canada et la mésange à tête noire. Le 19 septembre, une équipe d’experts renommés a été convoquée au Musée canadien de la nature, à Ottawa, pour débattre du meilleur choix à faire parmi les « candidats ». Sur les réseaux sociaux, le hashtag #CanadaBird faisait alors fureur.

« [Le mésangeai du Canada] incarne l’esprit amical des forêts boréales nordiques et des montagnes. » La Société géographique royale

Le 16 novembre, le huard a été recalé. Non parce qu’il orne la pièce d’un dollar canadien, mais parce qu’il fuit le Canada au début de l’hiver et qu’il était déjà symbole aviaire de l’Ontario. Même scénario pour le harfang des neiges qui, bien que résident permanent canadien, est l’un des emblèmes du Québec. Restait le troisième sur la liste… Décrit comme intelligent, résistant et peu farouche, le mésangeai du Canada (de son nom latin Perisoreus Canadensis) est présent partout et toute l’année. « Il incarne l’esprit amical des forêts boréales nordiques et des montagnes » dont il est un indice de santé, en plus d’inspirer « des idéaux de conservation pour tous les types d’utilisation des terres dans le Nord », précise la Société géographique royale. Il a, en outre, son importance dans la culture autochtone et n’est pas déjà un emblème provincial ou territorial.

« Vous n’allez jamais trouver un oiseau aussi amical et facile d’approche que le mésangeai », affirme David Bird, professeur émérite en biologie à l’Université McGill de Montréal et ornithologue réputé, qui avait défendu becs et ongles les couleurs de cet oiseau lors du débat public du 19 septembre. L’ex-ministre canadienne de l’environnement, Catherine McKenna, s’était alors montrée favorable. Mais sa collègue au ministère du patrimoine, Mélanie Joly, semblait moins pressée. Il faut dire que le choix ne fait pas l’unanimité. Certains Canadiens regrettent que le vote populaire n’ait pas été respecté ; d’autres se plaignent du choix d’un oiseau qu’ils ne voient jamais dans leur jardin. Aaron Kylie, rédacteur en chef du Canadian Geographic, réplique : « Ils ne voient pas plus de castor, qui est pourtant notre emblème animal ! »