Un raider comme conseiller spécial sur la régulation de l’économie américaine ! Il fallait y penser, Donald Trump l’a fait. Le président élu a en effet annoncé, mercredi 21 décembre, qu’il avait désigné Carl Icahn, 80 ans, comme conseiller spécial sur les régulations fédérales. Ou plutôt sur les dérégulations, comme le laisse entendre la feuille de route que lui a fixé M. Trump, qui sera de l’aider à « se débarrasser des régulations destructrices d’emplois qui freinent la croissance économique », précise un communiqué de l’équipe de transition.

Cette nouvelle nomination a, encore une fois, de quoi surprendre, alors que M. Icahn a passé plus de quarante ans à écumer Wall Street en tant qu’actionnaire activiste. « C’est non seulement un négociateur brillant mais aussi quelqu’un capable de prédire l’avenir, particulièrement dans la finance et l’économie », a expliqué M. Trump. « Carl est à mes côtés depuis le début et c’est l’un des plus grands hommes d’affaires du monde. Son aide sur les régulations étouffantes auxquelles notre pays fait face sera inestimable », a assuré le président élu.

Inspirateur du film « Wall Street »

Pour situer le personnage, il est l’un de ceux qui ont inspiré Oliver Stone pour son film Wall Street, tourné à la fin des années 1980. L’ignoble Gordon Gekko, joué par Michael Douglas, c’est un peu Carl Icahn. « Le » raider par excellence, qui traque les entreprises qui ont tendance à s’endormir sur leurs lauriers. Son tableau de chasse est impressionnant, et finirait presque par se confondre avec l’indice Standard & Poor’s 500. TWA, RJR Nabisco, Texaco, Phillips Petroleum, Western Union, Viacom, Time Warner, Genzime, Yahoo!, Motorola ou plus récemment Dell et Apple.

« Le scénario est toujours le même, explique un lobbyiste qui a travaillé pour plusieurs entreprises ciblées par Carl Icahn. Il prend une part significative du capital, on lui propose un siège au conseil, il commence à poser des questions, met le PDG sur la sellette et, ensuite, c’est tout le conseil qui finit par s’interroger. » Pas très urbain, mais… efficace. Ce que Carl Icahn ne supporte pas, ce sont les conseils d’administration passifs, trop complaisants avec les PDG négligents. « Les conseils et les managements tuent ce pays, dénonçait-il dans un entretien au Wall Street Journal en 2008. Certains conseils sont d’une telle médiocrité que cela en devient risible. Je n’ai plus besoin de regarder Saturday Night Live, il me suffit de siéger à certaines de ces réunions. »

Un maniaque, « drogué du travail »

Ces petites phrases bien senties font partie de sa stratégie pour désarçonner l’adversaire. Retranché dans son QG, au 47e étage du General Motors Building, sur la 5e Avenue à New York, il ne laisse rien au hasard. Secondé par un commando d’une vingtaine d’avocats et d’analystes, il épluche les comptes des sociétés ciblées. Une fois sur deux, il trouve lui-même ses « victimes ».

Maniaque, il ne supporte pas que l’on touche à son bureau, déteste les mémos ou les e-mails et préfère parler directement à ses interlocuteurs. Derrière ses épais sourcils se cache, comme il dit de lui-même, « un obsédé, un drogué du travail », même si, de temps en temps, il passe quelques jours dans sa maison d’East Hampton, au nord de New York, ou dans celle d’Indian Creek, en Floride, avec sa seconde femme, Gail, son ancienne assistante. Dans le couloir qui mène à son bureau, la bataille de Friedland peinte par Meissonier met en garde le visiteur. La devise de Carl Icahn : « Si vous voulez un ami, prenez un chien. »

Avant d’être la terreur de Wall Street, Carl Icahn passe son enfance dans le Queens, à New York, entre une mère institutrice et un père chanteur dans une synagogue, qui veut qu’il fasse médecine. Après deux ans sur les bancs de la fac, il abandonne ses études pour faire six mois d’armée où il écume ses camarades de chambrée au poker.

Diplômé de Princeton en philosophie, il décide pourtant de commencer sa carrière à Wall Street en 1961, en bas de l’échelle, chez un courtier, Dreyfus Corp. Grâce à un coup de pouce financier de son oncle, il achète un siège à Wall Street, c’est-à-dire une licence pour faire du courtage. Entre-temps, il apprend toutes les ficelles du métier, qui lui permettront d’accumuler une fortune évaluée à 16,7 milliards de dollars par le magazine américain Forbes.

« Plus la société est délaissée, mieux c’est »

Il gagne sa réputation d’« homme le plus avide de la terre » en s’attaquant à TWA, en 1985. La compagnie aérienne est alors à la dérive. Il prend d’assaut la présidence du conseil d’administration, organise les charrettes de salariés, taille à la hache dans les destinations desservies et siphonne le fonds de pension de la société.

C’est de ces situations compliquées qu’il fait son miel. « Il achète la plupart du temps au plus mauvais moment du point de vue du marché, lorsque la situation n’a aucune raison de s’améliorer, raconte un banquier, sous le couvert de l’anonymat. Plus la société est délaissée, mieux c’est pour Carl Icahn. »

C’est la technique qu’il a plus ou moins appliquée le 8 novembre, le soir de l’élection de Donald Trump. Alors que Wall Street commence à plonger lorsque la victoire du milliardaire se dessine, lui parie contre le marché en misant 1 milliard de dollars, persuadé que l’indice S&P 500 va rebondir une fois la nouvelle digérée. Bingo ! Une fois passée la stupeur, la Bourse repasse rapidement dans le vert, Carl Icahn empoche le gros lot.

Actionnaire activiste

Les deux hommes ont eu l’occasion de se fréquenter dans les affaires. Notamment en 2014, lorsque Trump Entertainment Resorts, une société qui groupe plusieurs casinos à Atlantic City (New Jersey) fait une nouvelle fois faillite pour tomber dans l’escarcelle de M. Icahn. L’homme, qui s’était jusqu’à présent décrit comme un « centriste », distribuant son argent aussi bien du côté républicain que du côté démocrate, avait lancé en octobre 2015 un comité d’action politique en faveur de M. Trump, doté de 150 millions de dollars. Peu avant, il avait affiché son soutien dans une vidéo en affirmant : « Nous avons besoin d’un président qui puisse faire bouger le Congrès. » Trump songe alors à lui confier le secrétariat au Trésor si jamais il était élu. Le raider avait finalement décliné l’offre. « Je ne me lève pas assez tôt pour ce genre de job », avait-il plaisanté.

Actionnaire principal de CVR Energy, un groupe spécialisé dans le raffinage de pétrole, M. Icahn n’a cessé ces derniers mois de pester contre l’Agence de protection de l’environnement (EPA), expliquant que l’institution n’avait pour but que de mettre des bâtons dans les roues du business de l’énergie. Depuis l’élection de M. Trump, qui a promis de déréguler le secteur de l’énergie, l’action de CVR Energy a grimpé de 67 % et la participation de M. Icahn s’est gonflée de 600 milliards de dollars. Quelques semaines plus tard, il était au centre des réflexions pour désigner le responsable de l’EPA, Scott Pruitt, ministre de la justice de l’Oklahoma et bras armé des compagnies pétrolières, pour tenter d’infléchir la politique de l’actuelle administration visant à réguler l’extraction énergétique.

Il aura également désormais la main sur la désignation du successeur de Mary Jo White, la présidente de la SEC, le gendarme de la bourse américaine, qui vient d’annoncer qu’elle quitterait son poste en janvier. L’un des rôles de l’institution consiste à établir des règles pour encadrer les pratiques des actionnaires activistes comme M. Icahn.