C’est une petite ville du Far West ougandais, au pied de la chaîne du Rwenzori, frontière naturelle avec la République démocratique du Congo (RDC) voisine. Le long des artères principales, entrecoupées de pistes de terre, s’alignent des petites maisons d’un ou deux étages. Nous sommes à Kasese, fief des Bakonzo, au royaume de Rwenzururu.

Le week-end des 26 et 27 novembre, de violents combats ont opposé les forces armées ougandaises (UPDF) et la police aux membres de la garde royale du souverain du Rwenzururu, Charles Wesley Mumbere. Le dimanche, l’assaut du palais avait abouti à l’arrestation du roi, et des combats ont eu lieu dans le district jusque dans la journée du lundi. Ils ont fait 62 morts selon un bilan officiel, davantage selon plusieurs locales.

Kampala a ordonné l’assaut après un ultimatum exigeant le démantèlement de la garde royale soupçonnée de faire partie d’une milice liée à un mouvement prônant la création d’une « République de Yiira » sur la zone frontalière entre l’ouest de l’Ouganda et une partie du Nord-Kivu en République démocratique du Congo (RDC). Pourtant, c’est pour une autre affaire, datant de mars, que le roi du Rwenzururu a été présenté devant le juge, mardi 13 décembre, qui lui a confirmé les onze charges qui pèsent contre lui, dont « meurtre », « tentative de meurtre » et « terrorisme ».

Population sonnée

Si « le calme est revenu à Kasese, il n’y a plus de tirs, et les troupes de police sont stationnées, la situation reste très tendue », rapporte Wilson Bwambale, un responsable associatif de la ville. La population est comme sonnée. Nombreux sont ceux qui avaient un proche dans la résidence du roi. Certains ont pu reconnaître les corps de leurs proches et les emporter mais, pour de nombreux autres, cela n’a pas été possible. Laissées à l’air libre, les dépouilles se sont rapidement décomposées rendant impossible toute identification.

À proximité de la morgue, on peut deviner ces corps, dans des sacs noirs. Non loin, ils sont une quinzaine de proches, dont certains portent un masque bleu de chirurgien, à attendre sous un arbre. « Mon fils était un garde du corps du roi depuis plus d’un an, explique Christian Masereka*, un vieux monsieur, triste et révolté. Il avait une femme et neuf enfants. Je ne sais pas comment ils vont faire. » Comme la plupart des parents rencontrés, il ne croit pas à la thèse de l’attaque des forces de sécurité par des gardes royaux. « Ils ne sont armés que de lances, de machettes et de couteaux », poursuit-il, même si le gouvernement affirme avoir trouvé des armes à feu après l’assaut. Comme beaucoup, Christian ne fait pas confiance aux autorités et réclame une mission d’enquête internationale.

« Victimes innocentes »

Petite chemise à carreaux, paire de lunettes de soleil sur la tête, Thomas Baluku* semble étonnamment calme. Il est pourtant activement recherché, comme tous les autres gardes royaux. Il a réussi à s’échapper. « Pendant quelques jours, je me suis caché dans la montagne, puis je suis redescendu rejoindre ma famille en ville », témoigne-t-il. Engagé au service du roi « par devoir », il affirme ne faire partie d’aucun mouvement séparatiste armé. Thomas Baluku estime également qu’il y a eu de nombreuses « victimes innocentes » pendant l’attaque, fin novembre.

L’entrée du palais est désormais gardée par une douzaine de policiers. Aux alentours, de nombreuses cases et bâtiments de gardes royaux calcinés et criblés de balles. « En temps normal, explique Wilson Bwambale, le palais du roi est pourtant un lieu ouvert, où de nombreux civils passent ou séjournent. » Etudiante en communication, Christine Masika*, 16 ans, était en stage dans la résidence royale lors de l’assaut. « Ils ont encerclé le palais. On ne peut pas sortir ! » : ce sont les derniers mots qu’elle a pu dire à son père par téléphone. « J’ai prié et j’ai essayé de dormir, se souvient ce dernier, mais je n’ai pas réussi. Je me suis rendu sur place mais le nom de ma fille n’était pas sur les listes des personnes emprisonnées. » Il n’a pas pu reconnaître non plus le corps de sa fille à la morgue et pense que les autorités ont sciemment laissé les corps se décomposer, afin qu’on ne puisse pas dénombrer les civils tués.

Echantillons d’ADN

Les dépouilles non identifiables ont finalement été transférés non loin de Kasese, à quelques dizaines de mètres d’un camp militaire. Les tombes ont été creusées à l’aide de pelleteuses dans la terre rouge sombre. La police assure que des échantillons ADN ont été prélevés sur chacun des 52 corps inhumés dans des cercueils rudimentaires, et que chaque tombe est clairement identifiable. Impossible de savoir néanmoins quand les résultats seront connus.

Des parents recueillent les corps de leurs proches à la morgue, après les événements sanglants des 26 et 27 novembre 2016, à Kasese, le 30 novembre. | © James Akena / Reuters

Au même moment, les menuisiers s’affairent dans le petit quartier des fabricants de cercueils de Kasese. Des ouvriers apportent en permanence des planches en équilibre sur de vieux vélos. « En début de semaine, la police est venue commander 70 cercueils », affirme un artisan. Un autre ajoute que des civils sont venus en demander quelques jours après. Après avoir examiné la photo de l’un des 52 cercueils anonymes inhumés, tous affirment que ceux qui avaient été commandés n’étaient pas du même type.

Les seize policiers et soldats tombés lors de l’assaut ont en effet bel et bien été inhumés dans des cercueils blancs différents, plus « luxueux ». Quant aux civils, « pour ce qui concerne la seule morgue de Kasese, il y a eu au moins 130 dépouilles collectées », affirme Wilson Bwambale, qui estime que le bilan final pourrait atteindre les 200 morts. La police a longtemps campé sur le chiffre officiel de 62 victimes, avant d’admettre qu’il pouvait y en avoir davantage.

Cercueils destinés aux policiers et soldats tombés lors de l’assaut donné par les forces de sécurité contre la garde royale du souverain de Rwebururu, les 26 et 27 novembre 2016 à Kasese. | James Akena/REUTERS

En Ouganda, l’affaire a pris une tournure très politique. L’opposition, qui a gagné les dernières élections dans la région de Kasese, est montée au créneau. Plusieurs députés ont demandé la libération du roi.

Les autorités, elles, se défendent et continuent d’affirmer qu’un mouvement séparatiste lié à la garde royale est toujours actif. La suspicion à l’égard des Bakonzo remonterait à leur rébellion contre le pouvoir central, qui a duré jusqu’en 1982. Un nouveau mouvement projetterait, selon le gouvernement, de fonder une République d’Yiira, indépendante de Kampala, à cheval sur la RDC. On l’accuse d’avoir attaqué les forces de l’ordre ces dernières années. La police affirme même avoir détruit des camps d’entraînement de ce groupe dans le Rwenzori, et demandé plusieurs fois au roi de limiter sa garde royale à vingt personnes.

« Marginalisation des Bakonzo »

David Bradford Nguru, l’assistant personnel du roi, ne nie pas que l’« idéologie » de la République d’Yiira existe bel et bien au sein de la population, mais qu’il s’agit d’un sentiment lié « à la marginalisation du peuple Bakonzo ». Rien ne peut accréditer selon lui l’existence d’un mouvement séparatiste, et toute cette affaire relève d’un énorme « malentendu ». « Une série de vendettas a conduit de nombreux gardes royaux préposés à la surveillance de sites sacrés dans la montagne, à se réfugier au palais, grossissant les troupes à l’intérieur de l’enceinte. » Le roi a en outre décidé de se séparer de la sécurité octroyée par Kampala, afin de ne s’entourer que de gardes traditionnels choisis par lui, ce qui a encore accru les soupçons de création d’une milice.

Le roi du Rwenzururu a enfin critiqué le gouvernement à de nombreuses reprises, flirtant régulièrement avec les limites politiques de sa fonction. En octobre, il a même accédé publiquement à la requête de Bakonzo venus de Béni, en RDC, et accepté de devenir leur « commandant » dans la défense de leur région contre les attaques incessantes dont ils font l’objet. Pour Wilson Bwambale, cette intrusion dans les affaires congolaises a été « la plus grosse erreur » du roi, loin du rôle d’« institution culturelle » à laquelle le gouvernement veut le cantonner.

Nul ne sait ce qu’il adviendra si le roi est condamné à une longue peine de prison, ou même, à la peine de mort. Mais beaucoup craignent, à Kasese, que de nouvelles violences ne surviennent alors, dans cette petite ville du Far West ougandais.

* Les prénoms et noms indiqués par un astérisque ont été modifiés.