Simple oubli ? Manière de « signer » son crime ? Anis Amri, le suspect de l’attentat de Berlin abattu en Italie vendredi 23 décembre, a été identifié en partie parce qu’il avait laissé un document d’identité dans le camion avec lequel il a foncé sur la foule. Un élément qui a suscité de nombreuses questions, notamment parmi les lecteurs du Monde : « Je trouve surprenant qu’on ait encore retrouvé les papiers d’identité du terroriste dans le véhicule […]. Est-ce une manière pour eux de signer leurs actes ? », nous a par exemple demandé Kaplov.

Certains vont plus loin. Le site proche du Kremlin Russia Today a ainsi publié un article en allemand qui se demande s’il est « vraiment crédible » que des terroristes aient pu, à plusieurs reprises, faciliter le travail des autorités en laissant de précieux documents derrière eux. Mais si cette information pose question, les différents exemples évoqués ne sont pas toujours comparables. Retour au cas par cas sur ce que l’on en sait.

Le papier d’identité d’Anis Amri après l’attentat de Berlin

  • Le document concerné

Un papier d’identité a été retrouvé sous le siège du conducteur du poids lourd utilisé lors de l’attentat du 19 décembre. Il s’agit d’une carte de demandeur d’asile d’un citoyen tunisien né en 1992 dans la ville de Tatatouine. Ce document est remis aux déboutés du droit d’asile qui ne peuvent être expulsés.

Anis Amri, le suspect de l’attentat, s’était vu refuser sa demande d’asile en juin 2016 mais n’avait pas pu être expulsé car ses papiers tunisiens n’étaient pas en règle. Il a donc pu rester en Allemagne, où il s’est présenté aux autorités sous plusieurs identités et a utilisé au moins six pseudonymes.

  • A-t-il permis d’identifier le terroriste ?

OUI, MAIS…

Dans la journée du mardi 20 décembre, la police s’était lancée sur une fausse piste menant à un demandeur d’asile pakistanais. La police allemande a alors assuré ne pas avoir « les mains vides » dans cette affaire, indiquant disposer de plus de 500 indices : des traces ADN retrouvées dans le véhicule, des images de vidéosurveillance ou encore des témoignages divers.

Mercredi 21 décembre, les autorités ont annoncé rechercher un autre individu identifié par le parquet antiterroriste : Anis Amri. Le suspect est lié au camion non seulement par le document, mais aussi, notamment, par des traces ADN retrouvées dans le véhicule.

On ne sait pas si l’abandon d’un document permettant de l’identifier était intentionnel ou non, mais il ne s’agissait donc pas du seul élément le liant à l’attentat.

La carte d’identité de Mohamed Lahouaiej Bouhlel à Nice

  • Le document concerné

Une carte de résident en France a été retrouvée dans le camion après l’attentat du 14 juillet sur la promenade des Anglais à Nice. Ce document appartenait à un Tunisien de 31 ans, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, domicilié à Nice. Il correspondait bien au chauffeur du camion. L’homme était connu des services de police pour des faits de violence et d’usage d’armes mais ne faisait pas l’objet d’une fiche S.

  • A-t-il permis d’identifier le terroriste ?

OUI, MAIS…

Dans ce cas précis, les forces de l’ordre ont identifié non pas un fugitif, mais un homme mort sur les lieux de l’attentat, ce qui n’est donc pas vraiment comparable avec le cas d’Anis Amri à Berlin. L’identification a pu être faite grâce aux papiers d’identité et à la carte bancaire retrouvés dans le véhicule ainsi que par l’analyse de ses empreintes.

Par ailleurs, Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait lui-même loué le poids lourd, le matin de l’attentat. Il s’était alors présenté à la société de location pour récupérer les clés du véhicule et avait présenté ses papiers d’identité et son permis poids lourds comme n’importe quel client.

Le passeport retrouvé à Saint-Denis après le 13 novembre

  • Le document concerné

Le procureur de Paris, François Molins, indiquait, le 14 novembre 2015, qu’un passeport avait été retrouvé près du corps d’un des kamikazes après l’attaque au Stade de France à Saint-Denis le 13 novembre au soir. Ce passeport syrien appartenait à un certain Ahmad Al-Mohammad.

  • A-t-il permis d’identifier le terroriste ?

NON, BIEN AU CONTRAIRE

Le 15 novembre 2015, le site voltairenet.org du conspirationniste Thierry Meyssan a publié un article qui tente de relier les différents cas où des documents d’identité de terroristes ont été retrouvés.

La suite a complètement battu en brèche le parallèle effectué entre ces différents cas. Pour le kamikaze du Stade de France, il s’agissait en réalité d’un faux passeport, qui désignait un soldat syrien mort. Le document, qui comportait néanmoins une vraie photo du terroriste, lui avait servi à entrer en Europe via la Grèce.

Loin de mâcher le travail des enquêteurs, le passeport a dans ce cas ouvert une fausse piste. Un an après l’attentat de Saint-Denis, l’identité de son propriétaire, un Irakien, reste inconnue. Même chose pour un deuxième membre du commando du Stade de France. Seul le troisième homme, Bilal Hadfi, un Français qui résidait en Belgique, a été formellement identifié.

La carte d’identité de Saïd Kouachi

  • Le document concerné

Alors qu’ils fuient après la tuerie de Charlie hebdo, le 11 janvier 2015, les frères Kouachi abandonnent leur véhicule, une Citroën C3. Ils y laissent un drapeau avec des inscriptions en langue arabe, des cocktails Molotov, un chargeur de kalachnikov, une facture du magasin Casa à Gennevilliers et la carte d’identité de Saïd Kouachi.

  • A-t-il permis d’identifier les terroristes ?

OUI, MAIS…

Il s’agit bien du premier élément liant formellement l’attentat à ses auteurs. Mais il faut tout de même préciser que les deux hommes ont laissé à bord des empreintes digitales et des traces d’ADN, ce qui aurait selon toute vraisemblance permis de retrouver leur identité sans le document.

La question de l’intentionnalité ou non de l’oubli de Saïd Kouachi demeure.

Les passeports de plusieurs terroristes du 11 septembre 2001

  • Les documents concernés

Quatre passeports de terroristes impliqués dans les attentats du 11-Septembre ont été retrouvés par la suite, selon le rapport de la commission d’enquête.

Il y a d’abord ceux de Ziad Jarrah et Saeed Al-Ghamdi, retrouvés sur le site du crash de l’avion en Pennsylvanie, qui appartenaient à deux terroristes qui avaient pris le contrôle du vol.

Vient ensuite celui de Satam Al-Suqami, un des pirates à bord l’avion qui s’est écrasé contre la tour Nord du World Trade Center. Il a été retrouvé par un passant et confié à un policier peu avant l’effondrement des tours.

Enfin, celui d’Abdul Aziz Al-Omari, un autre pirate à bord du même vol, a été retrouvé dans un bagage qui a manqué la correspondance pour le vol détourné.

  • Ont-ils permis d’identifier les terroristes ?

NON

Le fait que ces passeports aient « survécu » aux attentats a intrigué de nombreux internautes et suscité des commentaires dubitatifs ainsi que des théories conspirationnistes. L’animateur de télévision Thierry Ardisson s’en est par exemple fait l’écho en 2011, sur France 2, dans une séquence exhumée par le site conspirationniste ReOpen911 :

« Le fait qu’on retrouve le passeport de Mohammed Atta au sommet de la pile de gravats, ça ne t’étonne pas toi ? »

Ce qui est certain, c’est que les noms des 19 terroristes figuraient déjà dans la liste des passagers de chaque vol. C’est de cette manière qu’ils ont été identifiés. Il faut également rappeler que de nombreux objets sont retrouvés après la plupart des crashs d’avion. Par exemple, des passeports, des guides touristiques ou même des sièges ont été retrouvés après celui du vol MH17 en 2014.