L’Insee prévoit pour 2016 une croissance du PIB française à 1,2 %, contre presque 2 % en Allemagne, selon la Commission européenne. | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Les économies allemande et française ne marchent décidément pas au même pas. L’Insee a confirmé, vendredi 23 décembre, le léger redressement du produit intérieur brut (PIB) français au troisième trimestre (+ 0,2 %). Pour l’ensemble de l’année 2016, ses conjoncturistes prévoient une croissance de 1,2 %, identique à celle de 2015. Pendant ce temps, l’économie allemande n’en finit pas de faire des étincelles. La Commission européenne anticipe une croissance du PIB outre-Rhin de presque 2 % en 2016, soit sa plus forte progression depuis cinq ans. De quoi creuser encore le fossé qui sépare les performances des deux pays.

« Il est indéniable que, depuis la crise, l’équilibre du pouvoir entre la France et l’Allemagne a glissé irrémédiablement en faveur de cette dernière », constate l’économiste Anne-Laure Delatte, chargée de recherche au CNRS et professeure à Sciences Po. A la veille de l’introduction de l’euro en 1999 pour les transactions financières, explique-t-elle, les économies des deux pays se ressemblaient encore. Avec une ouverture au commerce extérieur pratiquement identique, d’un quart du PIB, de chaque côté du Rhin. Entre 1992 et 2006, la France a même dépassé l’Allemagne avec une croissance moyenne annuelle du PIB de 1,9 %, contre 1,5 %.

Une décennie plus tard, l’Allemagne a redressé sa compétitivité et pris ses distances. L’économie est tirée par les exportations qui représentent désormais la moitié de son PIB. De son côté, le taux de chômage, en baisse depuis 2009, s’établit à 5,7 % en 2016, son niveau le plus bas depuis la réunification. La France a fait le chemin inverse avec un chômage en constante augmentation depuis la crise, atteignant aujourd’hui 9,5 % en métropole. Autre chiffre préoccupant, l’endettement public français, même s’il a diminué de 0,9 point, est encore de 97,6 % du PIB.

Tout est affaire de négociation

Un constat que tempère Remi Lallement, économiste à France Stratégie. Pour lui, l’écart entre les deux pays pourrait bien se resserrer dans les années qui viennent :

« Le Fonds monétaire international [FMI] a estimé en octobre que le taux de croissance du PIB français pourrait dépasser celui de l’Allemagne à partir de 2018. Le déclin démographique du pays, malgré le récent afflux de migrants, pèsera sur son potentiel économique à long terme. »

Le déséquilibre macroéconomique en faveur de l’Allemagne se réduit déjà depuis deux ans. Même tardivement, le taux de chômage français a commencé sa décrue, et le déficit commercial décroît depuis 2011, malgré une rechute en 2016.

Le rapport de force entre les deux pays est d’ailleurs moins déséquilibré qu’il n’y paraît sur le plan macroéconomique. Tout est affaire de négociation. Par exemple, « l’Allemagne ferme les yeux sur les difficultés budgétaires de la France, constate Ansgar Belke, professeur d’économie à l’université de Duisburg-Essen (Allemagne) et chercheur au centre d’études politiques européennes CEPS, à Bruxelles. En contrepartie de l’abandon par la France de son soutien au Fonds européen de garantie des dépôts. » Ce troisième pilier de l’union bancaire, rejeté par Berlin, est censé protéger une partie de la richesse des déposants et éviter des retraits massifs en cas de faillite de leur banque.

La France et l’Allemagne continuent donc de « jouer un rôle structurant en résumant d’une certaine manière les contradictions et différences qu’il peut y avoir à l’intérieur de l’Europe », analyse Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie. D’ailleurs, le maintien du couple franco-allemand est au cœur du discours européen de la plupart des candidats à la présidence de la République. Le champion de la droite, François Fillon, a ainsi consacré sa première sortie internationale, le 14 décembre, à un court entretien avec Angela Merkel.

Ce dialogue presque exclusif entre les deux principaux membres de la zone euro n’est évidemment pas du goût des autres Européens, notamment du Sud, condamnés à la pilule amère de la procédure de déficit excessif. Pour Ansger Belke, ce n’est donc pas tant l’écart entre la France et l’Allemagne qui représente le plus grand danger pour la coopération européenne mais plutôt le fait que leur étroite relation s’affranchit parfois des règles imposées aux autres partenaires de la zone. Deux poids, deux mesures.