Pouvoir, opposition et Eglise catholique jouent tous ensemble leur crédibilité dans cette nuit de jeudi à vendredi 30 décembre. Chacun à sa manière, leurs destins sont liés autour de cet accord politique visant à organiser de manière consensuelle la gestion de la République démocratique du Congo pendant la période de transition entre la fin du mandat du président Joseph Kabila et l’élection de son successeur. Un accord encore incertain qu’ils tenteront de modifier jusqu’au dernier moment, la date butoir pour conclure un long dialogue inclusif facilité par les évêques étant fixée au 30 décembre.

Dernier acte mettant fin à trois semaines de comédie politique sur fond de tensions dans la rue, où des jeunes ont affronté les forces de sécurité les 19 et 20 décembre pour protester contre le maintien au pouvoir de Joseph Kabila, dont le deuxième et dernier mandat est arrivé à terme. Fait rare en République démocratique du Congo, deux églises ont été attaquées à Boma, dans l’ouest du pays, et des massacres ont été perpétrés au Nord-Kivu, autour de la date fatidique, laissant craindre une politisation de certains groupes armés de l’est du pays.

C’est dans ce contexte explosif que ce dialogue inclusif s’achève. Vendredi 29 décembre, vers 17 heures, des négociateurs de l’opposition sont sortis du centre interdiocésain de Kinshasa et les évêques se sont échappés dans leurs 4 × 4 aux vitres fumées, direction la résidence du président. Les religieux ont soumis le protocole d’accord tant attendu à Joseph Kabila, resté silencieux durant ces dernières semaines agitées. Le chef d’Etat, redoutable stratège, laisse ses hommes négocier jusqu’au bout.

Des positions adoucies des deux côtés

« L’essentiel a été fait. Et il serait désolant, irrespectueux à l’égard des évêques de revenir sur les compromis, a déclaré l’abbé Donatien Nshole, secrétaire général adjoint de la Commission épiscopale nationale du Congo (Cenco). Si on a affaire à des politiques sérieux, nous pensons qu’il est possible de signer cet accord vendredi ».

Cette fois, c’est la bonne veulent croire les évêques et certains acteurs politiques qui se disent confiants. A en croire le député de l’opposition Félix Tshisekedi, « le processus est bien engagé et la répartition des équilibres politiques a été améliorée, ce qui devrait permettre un atterrissage en douceur vendredi ». Mais les négociations se poursuivent dans la nuit de jeudi à vendredi.

Longtemps inflexibles, les deux camps ont fini par adoucir leurs positions. Oublié la rhétorique insurrectionnelle de l’opposition. Cette fois, un protocole d’accord a été déposé sur la table de Joseph Kabila, mais les évêques venus lui présenter sont sortis de l’entretien silencieux. Dans ce texte, le président Kabila reste au pouvoir encore une année, le temps d’une transition jusqu’à la tenue des élections présidentielle et législatives prévues à la fin de 2017. Ajouter l’organisation des élections provinciales, comme le souhaite la majorité présidentielle, retarderait le processus électoral. Or les évêques sont attachés à la date de décembre 2017, persuadés que la population déjà exaspérée par ces tractations n’accepterait pas un nouveau report.

Eviter de nouvelles violences

Priorité est donc donnée à l’élection présidentielle, qui devrait aboutir à la première alternance politique pacifique de l’histoire du pays. Un défi considérable tant sur le plan logistique que financier. La Commission électorale nationale indépendante (CENI), dont la neutralité a été vivement mise en cause par l’opposition, estime aujourd’hui que ce calendrier est intenable.

Un précédent accord, facilité par l’Union africaine, avait conclu à une élection présidentielle au mieux en avril 2018. Mais seule une frange minoritaire de l’opposition y avait pris part. L’Eglise catholique est ici à la recherche d’un accord plus inclusif pour éviter de nouvelles violences et rassurer les bailleurs internationaux, indispensables pour organiser ces scrutins, d’autant que la RDC est frappée par une crise économique causée par la mauvaise gestion et la chute des cours des matières premières.

Selon le protocole d’accord, la CENI serait « redynamisée », certains membres remplacés mais pas l’emblématique Corneille Nangaa, pourtant tant décrié pour ses accointances supposées avec le pouvoir. A défaut de prendre la présidence de la République, l’opposant historique, Etienne Tshisekedi, 84 ans et malade – mais toujours populaire à Kinshasa – prendrait le contrôle d’un comité de suivi chargé d’encadrer cette transition et de veiller à la bonne application de cet accord.

Arrestation de plus de 400 personnes dans le pays

Son ancien disciple Samy Badibanga, nommé premier ministre par Joseph Kabila le 17 novembre, pourrait être sacrifié. L’opposition souhaite qu’il quitte son poste, quelques jours après avoir investi son gouvernement, et exige la primature. Le pouvoir continue de louvoyer sur ce point.

Au niveau local, les vingt-six gouverneurs restent en fonction. Certains d’entre eux ont été élus en mars 2016 dans les nouvelles provinces créées à la suite du redécoupage territorial. Toutefois, les exécutifs locaux devraient être remaniés selon une répartition plus équitable. C’est l’une des conditions posées par les opposants, qui souhaitent par ce biais étendre leur influence localement mais aussi pouvoir faire cesser les intimidations et la répression des acteurs politiques et des activistes. Le pouvoir, là aussi, souhaite négocier au cas par cas.

Malgré la tenue de ce dialogue inclusif, la question de la « décrispation politique » ne semblait toujours pas d’actualité avec l’arrestation de plus de quatre cents personnes dans le pays entre le 19 et le 20 décembre. Ces journées ont été marquées par des embryons de rassemblement – pourtant interdits –, réprimés par les forces de sécurité et durant lesquelles au moins quarante personnes ont été tuées, selon l’ONU. A cela s’ajoutent les disparitions d’activistes interpellés et l’arrestation d’un opposant, Franck Diongo, dans sa maison de Kinshasa. Ce dernier, accusé d’avoir séquestré des membres de la garde républicaine, vient d’être condamné à cinq ans de prison.

La signature de l’accord incertaine jusqu’au bout

L’opposition a soumis une liste de neuf prisonniers politiques « emblématiques » dont elle exige la libération. Elle demande aussi le retour de l’exilé Moïse Katumbi. L’ancien gouverneur du Katanga, autrefois allié à Joseph Kabila, a quitté la RDC après avoir rallié l’opposition et exprimé son ambition présidentielle. Il est poursuivi par la justice dans plusieurs affaires exhumées par le pouvoir. Les évêques négocient son sort avec le président. C’est l’un des derniers points de blocage. Joseph Kabila ne supporte pas les trahisons.

Malgré l’enthousiasme de certains négociateurs, la signature de l’accord restera incertaine jusqu’au bout. La classe politique pourrait bien sortir affaiblie de ce dialogue interminable qui a lassé une partie de la population pour qui « les hommes en costume » semblent déconnectés de leurs préoccupations et sourds à leurs souffrances. Ce dialogue a montré les limites et peut-être rappelé le cynisme de certains politiques, avides de pouvoir. Avec des conséquences notamment dans l’est du pays, où certains groupes armés paraissent tentés de militariser cette crise politique.

Le destin de la partie orientale du pays a d’ailleurs été absent des discussions. Dans les grandes villes du pays comme Kinshasa et Lubumbashi nombreux sont ceux qui attendaient un appel à la mobilisation d’une opposition qui avait échauffé les esprits à l’approche du 19 décembre. Mais elle est restée silencieuse. « A quoi ça sert d’être toujours dans la bagarre et de pleurer nos morts, balaie Félix Tshisekedi. Ce que nous voulions le 19 décembre 2016, nous l’aurons le 19 décembre 2017 ».

L’opposition, minée par les divisions, devra expliquer et faire comprendre à ses partisans sa volte-face. En bon stratège, Joseph Kabila, fragilisé et sous pression de la communauté internationale, fera tout pour rester le maître du jeu. L’Eglise catholique congolaise, elle, semble pressée de reprendre ses distances avec ces hommes politiques prêts à tout pour le pouvoir.