A Deraa, dans le sud de la Syrie, le 24 mai 2016. | ALAA AL-FAQIR / REUTERS

En annonçant, mercredi 28 décembre, l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu pour l’ensemble du territoire syrien, fruit d’un compromis russo-turc, l’agence officielle turque Anadolu est allée trop vite en besogne. Ni Moscou, ni Damas, ni la rébellion syrienne n’ont confirmé un tel accord. Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin a affirmé ne pas avoir « assez d’informations » et le président turc Recep Tayyip Erdogan, qui s’est exprimé dans un discours mercredi matin, n’en a même pas parlé.

Citant « des sources fiables », l’agence a expliqué que le cessez-le-feu, censé commencer mercredi à minuit, heure locale, était général. Conclu sous l’égide du nouvel axe régional Moscou-Ankara, l’accord constituerait même le socle des négociations à venir – courant janvier 2017 à Astana – en vue d’une solution politique en Syrie.

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Les factions rebelles soulignent la confusion qui entoure cette annonce. « Nous n’avons été invités à aucune rencontre, à aucune négociation », a indiqué au Monde, mercredi soir, Issam Al-Rayes, porte-parole du Front du Sud, une coalition rebelle principalement active dans la région de Deraa (sud). Pour ce responsable rebelle, si le cessez-le-feu devait être confirmé officiellement, il resterait le fruit de « contacts entre deux pays » et n’aurait « rien de légal » : « Nous ne nous sentirons pas concernés tant qu’il n’y aura pas eu de coordination avec l’opposition syrienne ou l’Armée syrienne libre. »

Même son de cloche auprès du mouvement salafiste Ahrar Al-Cham, l’un des groupes anti-Assad les plus puissants. Les factions rebelles n’ont reçu « aucune offre de cessez-le-feu », a affirmé mercredi sur Twitter Labib Al-Nahhas, responsable des relations extérieures d’Ahrar Al-Cham. Ce dernier a toutefois affirmé à l’AFP « être au courant de discussions en cours entre la Russie et la Turquie sur un cessez-le-feu national », estimant que des obstacles demeuraient.

Accords locaux avec les insurgés

Reste à savoir ce qu’une entente sur le papier pourrait changer sur le terrain. Dans la région de Damas, où la rébellion a vu sa force de frappe diminuer mais conserve une présence, essentiellement dans les banlieues de la Ghouta-Est, le régime semble miser sur des accords locaux pour obtenir la reddition des insurgés.

Dans la zone de Deraa, les combats ont baissé en intensité depuis plusieurs mois, ce qui, selon des experts, s’explique par la volonté de la Jordanie voisine de contenir ce front. Les zones encore tenues par les rebelles dans la campagne d’Alep pourraient bénéficier d’une accalmie, même si elles semblent, comme l’ont montré les récents bombardements, une priorité des forces pro-régime après la reprise de l’est de la ville.

C’est dans la province d’Idlib, l’un des derniers bastions rebelles, que devrait se mesurer le degré d’entente entre Russes et Turcs. La quasi-totalité de cette région du nord-ouest de la Syrie est tenue par des factions anti-Assad. Une partie d’entre elles a longtemps bénéficié – ou bénéficie encore – du soutien turc ; la région est aussi la cible d’intenses bombardements russes depuis près d’un an.

« Les Russes ne font pas de différence »

Deux groupes radicaux dominent cette région : le Front Fatah Al-Cham (anciennement Front Al-Nosra, émanation d’Al-Qaida), classé comme terroriste et exclu du cessez-le-feu, et Ahrar Al-Cham, que Moscou a cherché à plusieurs reprises à faire classer comme organisation terroriste. D’autres groupes rebelles sont présents, et certains ont pu participer à des combats aux côtés de la coalition de l’Armée de la Conquête (dominée par Fatah Al-Cham et Ahrar Al-Cham), sans avoir rejoint cette alliance. Quelles seront, alors, les distinctions opérées par Moscou ?

« Les Russes ne font pas de différence entre factions, ils utilisent la même terminologie que le régime qui considère comme “terroriste” tout groupe d’opposition, affirme le porte-parole du Front du Sud. Leur objectif n’est pas de parvenir à un accord, mais de soutenir le régime. » Le dernier cessez-le-feu à entrer en vigueur, en septembre, parrainé par Washington et Moscou, avait vacillé au bout de quelques jours.