Le 33e Chaos Communication Congress s'est tenu, du 27 au 30 décembre, à Hambourg, en Allemagne. | Martin Untersinger / Le Monde

Le traitement journalistique dominant de l’informatique a pu le faire oublier : le terme « hackeur » n’a, à l’origine, rien de péjoratif. Il désigne celui ou celle qui veut comprendre la technologie, la questionne, la démonte, la remonte, la casse parfois, pour mieux la mettre à son service et à celui de la société. Chaque année, depuis plus de trente ans, les hackeurs se rassemblent sous l’égide du plus ancien club de la planète, le Chaos Computer Club (CCC), pour réfléchir aux diverses façons dont la technologie affecte la société et le monde qui les entourent.

La 33e édition du CCC, qui vient de s’achever à Hambourg, aura rassemblé environ 12 000 personnes. Et, comme chaque année, celles-ci auront tenté de réfléchir à la meilleure manière de faire de la technologie un outil de libération plutôt que d’oppression.

« Il faut passer à l’action »

Est-ce un sentiment d’impuissance que l’on voit poindre, celui de n’avoir toujours pas réussi ? De voir Internet en proie, invariablement, à des forces contraires : les Etats et leurs capacités croissantes de surveillance et velléités de censure, les entreprises et leur appétit en données personnelles ? De voir des sociétés entières ployer sous le poids du terrorisme et des populismes ?

« Il n’y a pas de contraste plus grand entre le slogan de cette année “Works for me” [“Ça fonctionne pour moi”] et mes sentiments sur le monde qui m’entoure. Rien ne semble y fonctionner, et il y a plein de bugs à signaler. (…) Les douze mois qui viennent de s’écouler nous ont fourni beaucoup de raisons d’être sombres, et d’espérer un nouveau monde », lance Elisa Lindinger, d’Open Knowledge Foundation, lors de la conférence d’ouverture.

« C’est à nous de quitter notre communauté fermée et d’amener ce que nous faisons ici, au Congrès, à l’extérieur. Nous ne pouvons pas nous cacher sous une couverture et attendre que, par magie, le monde aille mieux. Maintenant, plus que jamais, il faut passer à l’action », affirme aussi, toujours lors de la conférence d’ouverture, Anna Biselli, du site d’information allemand Netzpolitik.

A voir le programme des plus de 140 conférences programmées sur trois jours, les hackeurs ont en effet bien des choses à dire à la société : sur les élections américaines, sur la guerre en Syrie, sur la sécurité des voitures connectées, sur les pouvoirs de l’Etat sur Internet, sur les données personnelles, sur notre liberté d’expression en ligne.

Snowden et Vanessa, réfugiée philippine

Qui mieux que l’icône par excellence de ces hackeurs, Edward Snowden, l’ancien membre du renseignement américain qui a confié à des journalistes des milliers de documents révélant un vaste système de surveillance d’Internet, pour galvaniser ces troupes ? Il était justement de la partie, intervenant comme à son habitude par vidéoconférence :

« Si on veut rendre l’Internet plus sûr, nos sociétés plus libres et plus ouvertes, si on veut que les générations futures profitent des droits pour lesquels nos ancêtres sont morts, vous allez devoir faire quelque chose. Ce sera peut-être écrire du code, créer un outil, lancer un nouveau service ! »

Son intervention lui a valu deux longues standing ovations. « L’accueil le plus chaleureux que j’aie jamais reçu », a-t-il commenté. Une autre standing ovation a été réservée à Vanessa, une réfugiée philippine qui a accueilli le lanceur d’alerte américain lorsqu’il a tenté de fuir Hongkong vers l’Amérique du Sud. Pendant quelques jours, alors qu’il était l’homme le plus recherché du monde, Vanessa et plusieurs autres familles de réfugiés l’ont accueilli et caché chez eux.

Cet épisode, l’un des moins connus des pérégrinations d’Edward Snowden, a été révélé récemment lors de la sortie de Snowden, le film biographique d’Oliver Stone. Ces réfugiés, dans une situation extrêmement précaire, interdits de travail, harcelés par le gouvernement hongkongais, risquant l’expulsion et pour certains apatrides, « ont vu Snowden comme l’un des leurs », a expliqué Robert Tibbo, l’avocat hongkongais de ces réfugiés et d’Edward Snowden.

« Il est resté chez moi tant qu’il a eu besoin d’aide. Quand je suis allée lui chercher le journal, j’étais choquée, l’homme qui était chez moi faisait la “une” du journal. C’était en fait l’homme le plus recherché du monde. Ce type était chez moi ! », se remémore Vanessa, par vidéoconférence depuis Hongkong, lors de l’un des moments les plus émouvants du 33e CCC.

Au premier regard, le CCC ressemble davantage à une foire excentrique qu’à une réunion de hackeurs politisés : ateliers de soudure, d’ouverture de cadenas, néons, statues extravagantes et expérimentations diverses pullulent dans les couloirs.

Election américaine, « Diesel Gate »…

Pourtant, les sujets abordés sont au cœur de l’actualité. Deux chercheurs ont tenté de savoir si l’élection américaine avait été piratée (ce n’est pas le cas mais celle de 2020 pourrait bien l’être). Un expert des programmes malveillants a présenté ses trouvailles sur « APT28 », le groupe de pirates soupçonné d’être lié à la Russie qui a justement piraté le Parti démocrate américain.

Il a aussi été question du « Diesel Gate ». L’année dernière, juste avant le précédent CCC, on avait appris que Volkswagen avait truqué les logiciels de ses voitures pour duper les contrôles de pollution. Felix Domke, un hackeur qui a disséqué les logiciels de Volkswagen, est venu présenter ses conclusions et a défendu une plus grande transparence des logiciels qui équipent de plus en plus d’objets du quotidien :

« Les mécanismes de contrôle des émissions sont des boîtes noires. Les fabriquant les ont conçus comme ça, et les gens semblent d’accord. Mais les boîtes noires peuvent tuer des gens, et un système qui peut tuer des gens doit être évalué par le public. Nous avons besoin de plus de transparence. »

Il a également été question de savoir si le libéralisme politique était adapté aux grandes révolutions technologiques, si les géants du Net étaient les nouveaux gardiens de la moralité, comment les préjugés racistes et sexistes se transmettent aux intelligences artificielles, quel était le coût économique de la censure ou comment mieux protéger les ONG contre les piratages étatiques.

Les participants au CCC auront aussi appris comment déjouer les dernières avancées techniques en matière de reconnaissance faciale, que les compteurs électriques ne sont pas aussi sûrs qu’il y paraît, entendu le concepteur du système informatique qui dirige les drones en Afghanistan ou compris comment des milliers d’images des exactions en Syrie sont préservées et analysées.

TOR et WikiLeaks, les grands absents

Il y eut cependant des absences notables, lors de ce 33e CCC, illustrant deux sujets qui ont divisé la communauté des hackeur ces derniers mois.

Pour la première fois depuis des années, pas une seule conférence ne sera consacrée à TOR, le logiciel d’anonymisation et de contournement de la censure. Plus qu’un simple logiciel, TOR est un symbole de la lutte contre la surveillance et de la croyance en un Internet libre, affranchi du contrôle des Etats, proche de la mythologie fondatrice du mouvement hackeur.

C’est aussi un des outils antisurveillance les plus robustes, et celles et ceux qui y travaillent sont des habitués du CCC. L’un des piliers de l’équipe du logiciel et une des principales figures de la communauté des hackeurs, Jacob Appelbaum, a fait l’objet d’accusations de harcèlement sexuel, qu’il nie. Il a démissionné de TOR avant qu’une enquête interne ne confirme les allégations dont il fait l’objet. Par crainte de débordement, l’équipe du CCC n’a accepté aucune des conférences portant sur TOR qui ont été proposées comme si elle ne voulait pas que les divisions au sein du projet TOR ne débordent dans son congrès à l’organisation millimétrée.

Pas une seule conférence n’a non plus évoqué directement la question de WikiLeaks, dont le rôle dans l’élection présidentielle américaine de novembre a également divisé les hackeurs.