Près du bureau de vote de Tower Hamlets, un district du Grand Londres entaché par un scandale d’achat de votes, en juin 2015. | LEON NEAL / AFP

Les Britanniques n’ont pas de carte d’identité. Même après les attentats de 2005 à Londres, le gouvernement n’a jamais pu en introduire l’usage, jugé attentatoire aux libertés individuelles. Aussi le projet de Downing Street d’imposer un contrôle d’identité à l’entrée des bureaux de vote suscite-t-il la polémique, d’autant plus vivement que l’idée va d’abord être testée dans dix-huit zones jugées « vulnérables » à la fraude sous prétexte qu’elles sont habitées largement par une population issue de l’immigration.

La mesure, qui doit être expérimentée aux élections locales de 2018, consiste à exiger la présentation d’une preuve d’identification (permis de conduire, passeport où éventuellement facture d’électricité) avant le passage dans l’isoloir. Elle est la conséquence directe du scandale de Tower Hamlets, un quartier de l’est de Londres dont le maire, à l’époque le premier musulman élu à cette fonction au Royaume-Uni, a été destitué en 2015 après avoir acheté le vote de ses coreligionnaires et mis sur place une « usine à vote postal ». Lutfur Rahman, exclu du Labour pour ses liens avec des groupes islamistes, avait été élu en 2014 sous l’étiquette d’« indépendant ». La Haute Cour de Londres l’a condamné l’année suivante pour « corruption, favoritisme et abus de pouvoir ».

« Un bazooka pour les mouches »

Le rapport commandité par le gouvernement de David Cameron après ce scandale, et publié en août 2016, a établi l’existence de « pressions sur des membres vulnérables de certaines communautés ethniques minoritaires, en particulier des femmes et des jeunes, pour qu’ils votent selon le désir des aînés, en particulier dans des quartiers où vivent des personnes d’origine pakistanaise ou bangladaise ». Son auteur, l’ancien ministre conservateur Eric Pickles, a aussi déploré que les autorités locales, la police en particulier, n’aient pas agi de crainte d’être accusées d’islamophobie ou de racisme.

Conséquence directe du rapport Pickles, l’annonce du contrôle d’identité dans les quartiers à forte densité de populations issues de l’immigration asiatique, notamment à Birmingham et Bradford, est bien accueillie par le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP, extrême droite). Son nouveau leader Paul Nuttall estime cependant qu’elle ne va « pas assez loin » et réclame l’interdiction du vote postal à la demande.

Mais le Labour dénonce le risque de « priver du droit de vote » les 3,5 millions d’électeurs qui ne possèdent aucun document comportant leur photographie. Tout en se disant partisans de « mesures raisonnables » contre la fraude électorale, les travaillistes estiment que l’exigence d’une pièce d’identité « toucherait les plus pauvres », ceux qui ne possèdent ni passeport ni permis de conduire. Quant à Katie Ghose, présidente de l’Association pour la réforme électorale, elle compare le plan gouvernemental à un « bazooka pour tuer les mouches », rappelant qu’en un an, seuls 665 cas (sur 51,4 millions de votes) ont fait l’objet de plainte pour fraude.

De son côté, le ministre chargé de la Constitution, Chris Skidmore, a beau jeu de rappeler que des preuves d’identité sont exigées dans bien des démarches – notamment commerciales – de la vie courante et qu’il s’agit de « ne pas laisser saper la démocratie ». Mais le ciblage des quartiers immigrés peut difficilement être isolé du contexte de xénophobie croissante depuis le vote du Brexit, le 23 juin 2016. « Les électeurs devront montrer leur passeport pour combattre la fraude électorale dans les quartiers à large population musulmane », croit bon de titrer, pour s’en réjouir, le grand quotidien conservateur The Telegraph.