Pour son traditionnel discours de fin d’année à la nation, Paul Biya, président de la République du Cameroun, n’a pas prononcé les mots que la partie anglophone du pays, en crise depuis plus d’un mois, attendait. « Par le fait d’un groupe de manifestants extrémistes, manipulés et instrumentalisés, des Camerounais ont perdu la vie ; des bâtiments publics et privés ont été détruits ; les symboles les plus sacrés de notre nation ont été profanés ; les activités économiques ont été paralysées momentanément », a-t-il lancé au soir du 31 décembre 2016, tout en rappelant que le Cameroun était « un et indivisible ».

« En pareille circonstance, l’Etat a le devoir impérieux de rétablir l’ordre, au nom de la loi et dans l’intérêt de tous », a poursuivi Paul Biya, depuis trente-cinq ans au pouvoir, le ton grave, sous le regard de nombreux Camerounais qui avaient abandonné le temps de ce discours, les festivités de la Saint-Sylvestre. Ils sont ressortis « déçus », « en colère » face à ces mots « durs ».

Paul Biya, « le père absentéiste »

« C’est un non-discours. Il a oublié les faits. Il n’a même pas de sympathie pour les enfants tués par les balles de l’armée. Ils étaient sans armes, fulmine Wilfred Tassang, secrétaire exécutif de la Cameroon Teachers Trade Union (CATTU), l’un des syndicats des enseignants en grève. C’est incompréhensible. Il nie tout comme si nos revendications n’étaient pas fondées. C’est un père absentéiste. Le Sud-Ouest et le Nord-Ouest du Cameroun, les deux régions anglophones, revendiquent juste leurs droits. »

En effet, le 21 novembre 2016, les habitants de la ville de Bamenda, chef-lieu de la région du Nord-Ouest, profitent d’un appel à la grève lancé par des syndicats d’enseignants qui dénoncent un système éducatif anglophone qui se « francophonise » de plus en plus, pour exprimer leur ras-le-bol : ils ne veulent plus des professeurs francophones qui enseignent l’anglais à leurs enfants alors qu’ils ne maîtrisent pas la langue, ils ne veulent plus des médecins francophones dans leurs hôpitaux et exigent les déclarations d’impôts et autres documents administratifs ne soient plus conçus qu’en langue française et que leurs conditions de vie s’améliorent.

Leurs revendications rejoignent celles des avocats, qui dénoncent de leur côté la non-traduction de lois et de documents juridiques en anglais au moment de leur publication (Code pénal, OHADA) et la nomination de juristes qui ne maîtrisent pas la langue anglaise dans les deux régions anglophones.

Plus d’un mois plus tard, aucune négociation gouvernementale n’a abouti. Le premier ministre, les ministres des enseignements supérieur, secondaire, primaire, des personnalités dépêchées dans la région du Nord-Ouest, n’ont pas pu convaincre les grévistes. « Ils sont venus en ministres et pas en égaux. Vous savez, c’est toujours une forme de marginalisation. Dans le système anglophone, les ministres sont les serviteurs du peuple qui représente l’Etat, pas l’inverse, assure Wilfred Tassang, qui a claqué la porte des négociations avec ses collègues. De plus, nos frères du Sud-Ouest n’ont pas été pris en compte. On ne peut pas négocier sans eux. »

L’échec du gouvernement

Plus grave, les avocats dénoncent les irrégularités dans le comité mis sur pied pour résoudre leurs problèmes : trop de francophones et trop de membres du parti au pouvoir. « Il faut revoir ce comité. Imaginez des anglophones qui résolvent un problème francophone dans la partie francophone avec en tête un représentant d’une région autre que celle où les manifestations ont eu lieu », ironise Me Félix Nkongho Agbor, président de l’Association des avocats du département du Fako (Sud-Ouest), par ailleurs président du consortium constitué des syndicats des enseignants, des avocats et de la société civile de la partie anglophone.

Comme condition préalable pour la reprise des négociations, les deux parties (avocats et enseignants) exigent la libération de la centaine de jeunes interpellés durant les manifestations, que ce soit celle du 21 novembre ou celle du 8 décembre 2016, qui s’est soldée par la mort d’au moins deux personnes, selon le bilan officiel. « Sans la libération de ces jeunes, nous n’allons pas continuer la négociation. Tout doit commencer par là, tranche Me Félix Nkongho Agbor. Selon nos informations, certains d’entre eux sont malades. Comment des personnes interpellées à Bamenda peuvent-elles être gardées à vue à Yaoundé ? »

« Si cette condition n’est pas respectée, dès lundi 9 janvier, la grève sera générale. Les enseignants anglophones des huit régions francophones n’iront pas en cours. Il n’y aura pas d’école », menace Wilfred Tassang, le responsable de la CATTU. Sitôt cette condition remplie, les deux parties exigent en plus que des « arbitres neutres », tels des hommes d’église et des personnalités respectées de la région anglophone, soient présents dans la commission d’enquête promise par le président de la République.

Annoncée par des anglophones, la grève générale prévue pour le 2 janvier n’a pas finalement eu lieu. Leur dernière carte ? Le retour au fédéralisme instauré le 1er octobre 1961, soit un an après l’indépendance pour respecter l’histoire du pays qui fut administré après la première guerre mondiale par les Français et les Anglais. Un mode de gouvernance abandonné après le référendum du 20 mai 1972, qui vit la création de la République unie du Cameroun et consacra cette date fête nationale sur l’étendue du territoire. « Cela résoudra tous nos problèmes de lois, d’enseignement et autres, assure Me Félix Nkongho Agbor. Nous sommes modérés car nous aimons le Cameroun. Nous ne réclamons pas l’indépendance mais le fédéralisme. »