Le président de la Commission européenne et premier ministre luxembourgeois de 1995 à 2013, Jean-Claude Juncker,  avec son successeur à la tête du gouvernement du Grand-Duché, Xavier Bettel, à Bruxelles en 2014. | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

C’est l’une des principales conséquences du « LuxLeaks », ce retentissant scandale financier dans lequel les médias avaient révélé, fin 2014, un système d’accords fiscaux très avantageux pour les multinationales mis en place au Luxembourg quand Jean-Claude Juncker, l’actuel président de la Commission européenne, en était encore le premier ministre.

Depuis dimanche 1er janvier, les administrations des vingt-huit Etats membres de l’Union européenne (UE) sont censées se communiquer sur une base automatique et obligatoire tous les rulings (les accords fiscaux préalables) qu’ils signent avec les entreprises en matière transfrontalière.

Le but de cette transparence est d’éviter qu’un pays n’octroie des conditions fiscales trop avantageuses à une multinationale et ne prive ainsi d’autres Etats de substantiels revenus liés à l’activité réelle de cette société sur leur territoire. Le fait d’être mutuellement tenus au courant de tous les rulings devrait permettre d’en finir avec cette forme de concurrence fiscale dommageable dans l’UE.

La directive à laquelle les Vingt-Huit doivent désormais se conformer a été proposée en urgence par la Commission fin 2014. Elle fut adoptée fin 2015 avec une célérité inhabituelle par l’ensemble des Etats membres, les plus réticents jusqu’alors à toute avancée en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, Belgique) ayant dû céder sous la pression des opinions publiques.

Les pratiques ont changé

Les administrations doivent communiquer tous les rulings et accords sur les prix de transfert (prix que se facturent les filiales d’un groupe entre elles) à venir et/ou signés depuis 2012. Les rulings postérieurs au 1er janvier 2017 doivent être transmis – y compris à la Commission, qui n’en reçoit cependant qu’une information partielle – au plus tard trois mois après la fin du semestre de l’année civile au cours de laquelle ils sont signés ou modifiés. Les échanges d’informations entre Etats concernant les rulings signés à partir du 1er janvier auront donc lieu au plus tard le 1er septembre.

Les pratiques ont commencé à changer avant même l’entrée en vigueur de ce texte. Fin décembre, le grand-duché de Luxembourg a ainsi annoncé de nouvelles règles visant à empêcher les montages fiscaux « abusifs » de multinationales. Une tentative, pour le petit Etat, d’améliorer son image, et pour son premier ministre, Xavier Bettel, le successeur libéral du chrétien-démocrate Juncker, de marquer sa différence.

Les changements annoncés ont été qualifiés de « très bienvenus » par la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, dont les services ont, précise-t-elle, collaboré avec les autorités grand-ducales. La réforme de la législation luxembourgeoise concerne le traitement fiscal appliqué aux « sociétés de financement », ces sortes de caisses internes aux groupes multinationaux auxquels elles fournissent des prêts et autres services financiers. Ce sont elles qui ont permis à des sociétés basées au Grand-Duché de réduire artificiellement leurs impôts, en vertu de rulings conclus avec les autorités. Un système très répandu au Luxembourg mais aussi dans d’autres Etats membres, dont l’Irlande et les Pays-Bas.

Deux enquêtes pour aides d’Etat

Le pays de M. Bettel reste, lui, sous le coup de deux enquêtes pour aides d’Etat compte tenu de ses apparentes largesses à l’égard d’Amazon et de McDonald’s, deux dossiers qui ne sont pas immédiatement liés à la nouvelle législation. En octobre 2015, la Commission avait dénoncé le ruling qui avait permis à Fiat Finance de réduire son impôt d’un montant compris entre 20 millions et 30 millions d’euros depuis 2012.

Depuis les « LuxLeaks », la Commission n’a pas ménagé sa peine pour en finir avec la concurrence fiscale déloyale. Carte libre a été laissée à Mme Vestager et à Pierre Moscovici, son collègue chargé de l’économie, qui, en plus de la communication automatique et obligatoire des rulings, ont proposé d’autres législations afin d’en finir avec les abus fiscaux. Mais l’image de M. Juncker n’en reste pas moins durablement affectée, même si sa responsabilité personnelle n’a jusqu’à présent pas été directement engagée.

Lundi 2 janvier, The Guardian a enfoncé le clou en se basant sur des câbles diplomatiques allemands confidentiels. Le quotidien britannique a affirmé que le Luxembourg, à l’époque où il était dirigé par M. Juncker – il fut premier ministre de 1995 à 2013 –, s’est systématiquement opposé aux avancées en manière de lutte contre l’évasion fiscale des Européens. Le Grand-Duché faisait partie des pays « bloquants » au sein du très peu transparent groupe « Code de conduite » constitué de représentants des Etats membres et mis en place à Bruxelles en 1998 pour mettre fin aux pratiques de concurrence fiscale dommageables.

Ces révélations n’ont rien de surprenant, une première série de « leaks » du groupe « Code de conduite » ayant montré, en novembre 2015, que ce comité bruxellois était paralysé depuis des années. « C’est bien de réchauffer les soupes froides, mais ce serait bien aussi de regarder ce qui se passe réellement ici à Bruxelles [en matière de lutte contre l’évasion fiscale] », a réagi Margaritis Schinas, le chef de la communication à la Commission, mardi 3 janvier.