Des Rafale engagés dans l’opération « Chammal » en Syrie, sur le porte-avions Charles de Gaulle, le 4 février 2016. | HANDOUT / AFP

François Hollande n’hésite pas, dans la guerre contre le terrorisme, à autoriser la DGSE et les services spéciaux à « neutraliser » des djihadistes. Une note confidentielle, consultée par Le Monde, explique comment « harmoniser la communication » pour « éviter les débats ». Frappes aériennes, exécutions ciblées, traitement des combattants ennemis… : malgré le cadre légal des conflits armés et le droit international humanitaire, les interventions de la France au Sahel, en Irak et en Syrie se situent parfois dans une zone grise.

  • Légalité de l’entrée dans la guerre

En Irak comme au Sahel, les opérations militaires françaises se déroulent dans le cadre légal clair des conflits armés : elles se fondent sur un appel à l’aide des pays concernés par la menace djihadiste et des résolutions de l’ONU, qui définissent l’organisation Etat islamique (EI) comme une organisation menaçant la sécurité internationale.

En Syrie, le cadre est flou, car aucune des trois conditions légalisant l’action militaire des Occidentaux ne s’impose : ni la demande du pays (sur laquelle la Russie, elle, s’appuie pour intervenir), ni une résolution du Conseil de sécurité autorisant le recours à la force dans un Etat souverain, ni une application du principe de légitime défense.

La France a jugé que la légitime défense collective (on vient aider un Etat agressé par un autre) pouvait être étendue dans le cas de l’EI, et a assuré que les opérations en Syrie étaient le prolongement de celles menées pour défendre l’Irak. Ce que l’ONU n’a pas contesté.

  • Légalité des opérations dans la guerre

Une ambiguïté supplémentaire est venue du fait que les autorités françaises ont aussi évoqué, dans le cas syrien, la légitime défense individuelle (un pays se défend lui-même), la France étant agressée par des personnes présentes dans les rangs de l’EI en Syrie. Or, pour invoquer ce cadre de façon formelle, elle devrait pouvoir documenter chaque frappe pour démontrer que l’agression, sous la forme d’attentat par exemple, est « en cours » ou « imminente ». Ce qui revient à entrer dans une logique préemptive.

  • Combattants ennemis

Au titre du droit international humanitaire (DIH, ou droit de la guerre), l’usage de la force doit être justifié, discriminé entre civils et combattants, et proportionné. Dans le cadre des conflits internationaux qui opposent des Etats sont des combattants tous les membres des forces armées d’une partie au conflit sauf les personnels sanitaires et religieux. Tout combattant peut être ciblé, sa nationalité n’est pas une protection.

Le sujet est plus débattu dans le cadre des conflits non internationaux qui opposent des groupes armés. Dans cette zone grise, le débat porte sur la participation au combat : pour tous ceux qui ont rejoint les rangs de l’EI, est-elle « active » et « continue » comme le demande le Comité international de la Croix-Rouge ? Les lois françaises antiterroristes disent que tout Français ayant rejoint une katiba (brigade) djihadiste est un combattant. Les tribunaux seront amenés à juger des cas litigieux. Cela vaut aussi pour les prisonniers éventuels. Dans ce cadre, aucune règle absolue ne s’impose, les belligérants doivent s’entendre. La France n’a pas rendu publiques ses décisions.

Dans les opérations irako-syriennes, la difficulté vient du fait que les ennemis désignés ont un double statut, de justiciables au sens du droit pénal et de combattants au sens du droit de la guerre. Pour les traquer, les renseignements intérieur, extérieur et militaire peuvent être fusionnés dans des dossiers d’objectifs. Tandis que les actions antiterroristes – judiciaires d’un côté et militaires de l’autre – se veulent étanches.

  • Frappes ciblées

Toutes les frappes militaires actuelles sont ciblées. Elles suivent des procédures rassemblées dans des « manuels de ciblage » (targeting en anglais), destinées à viser les « centres de gravité » de l’ennemi. La liste comprend sa hiérarchie, ses installations, ses finances, etc. Visées par des juristes pour répondre au DIH, les règles d’engagement des armées – ce qui doit être vérifié avant de tirer, les cas où l’on ne tire pas, etc. – sont classifiées.

  • Exécutions ciblées

Elles recouvrent les opérations lourdes, du type de celle menée en septembre 2014, quand la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a fourni à la CIA un renseignement lui permettant de cibler et de tuer en Somalie, dans une frappe de drone, Ahmed Godane, le chef des Chabab. Celui-ci était responsable de la prise en otage de l’agent Denis Allex, mort en janvier 2013 au cours d’une tentative ratée de libération par les forces françaises et américaines. Aux Etats-Unis, les ordres présidentiels de telles exécutions individuelles sont transmis aux commissions parlementaires sous forme de listes. Ce n’est pas le cas en France.

  • « Opérations homo »

Ce sont des « opérations homicides » clandestines et illégales, exécutées sur le sol d’un pays étranger par un agent des services spéciaux ou par une petite équipe. Montées par le service action de la DGSE sur l’ordre – non écrit – du président et prévoyant la mort d’un individu sans que celle-ci puisse être attribuée à quiconque, elles sont rares. Une frappe de missile ou un raid des forces spéciales (qui sont des unités militaires en uniforme) contre un groupe armé aboutissant à la mort d’un homme recherché ne sont pas des « opérations homo ».