Une boîte d’Uvestérol D, un médicament contre les carences en vitamine D, dont le mode d’administration se fait au moyen d’une pipette. | MARTIN BUREAU / AFP

Le médicament a été administré à des millions d’enfants. L’Uvestérol D, couramment prescrits pour prévenir la carence en vitamine D, est aujourd’hui mis en cause après le décès d’un nouveau-né, victime d’un arrêt cardio-respiratoire à la fin de décembre.

L’Agence nationale du médicament (ANSM) a décidé mercredi 4 janvier d’en suspendre la commercialisation. Contrairement aux scandales sanitaires de ces dernières années, ce n’est pas la molécule du médicament qui est en cause, mais son mode d’administration au moyen d’une pipette.

  • Qui fabrique ce médicament ?

L’Uvestérol D est fabriqué par le laboratoire Crinex, sis en banlieue parisienne et spécialisé dans la prévention des maladies des nourrissons et l’hygiène bucco-dentaire. Il emploie 27 salariés et l’Uvestérol D représente environ 10 % de son chiffre d’affaires, qui était de 20 millions d’euros en 2015.

  • Quelle est l’utilité de ce médicament ?

Il s’agit d’un médicament très courant indiqué « dans la prévention et le traitement de la carence en vitamine D chez le nouveau-né, le nourrisson et l’enfant jusqu’à 5 ans », rappelle l’ANSM. La vitamine D est naturellement produite par notre corps, sous l’effet des rayons du soleil. Mais les nourrissons, généralement peu exposés au soleil, n’en produisent pas suffisamment.

De leur naissance jusqu’à leurs 18 mois, ils prennent donc quotidiennement un médicament à base de vitamine D, prescrit par leur pédiatre. Passé un an et demi, les enfants en prennent seulement deux doses, deux fois par an, en novembre et en février, jusqu’à leurs 5 ans.

« La vitamine D est indispensable chez tous les nourrissons pour prévenir d’éventuelles carences », insiste le pédiatre Patrick Tounian, chef du service gastro-entérologie et nutrition à l’hôpital Trousseau, à Paris. Lorsqu’elle n’est pas synthétisée en quantité suffisante, les enfants sont exposés à un risque de rachitisme, c’est-à-dire un manque de calcification des os et des cartilages qui se traduit par des retards de croissance. Un manque de vitamine D peut également entraîner une déminéralisation osseuse, autrement dit une fragilisation, voire une déformation des os qui augmente le risque de fracture.

La vitamine D est également prescrite aux adultes, en particulier aux femmes enceintes ou qui allaitent, aux personnes âgées, à celles peu exposées au soleil ainsi qu’à celles ayant une peau très pigmentée.

  • Quels sont les risques de ce médicament ?

Selon l’ANSM, l’Uvestérol D est l’objet depuis 2006 d’une surveillance renforcée en raison de ses potentiels effets indésirables liés à son mode d’administration. L’Uvestérol D se présente sous forme liquide, dans un flacon dont on extrait, à l’aide d’une pipette, la dose à administrer.

Une injection réalisée de manière inappropriée, c’est-à-dire avec une pipette mal insérée dans la gorge, dans une posture allongée ou encore après un repas, risque de provoquer un malaise vagal du nourrisson ou une fausse route alimentaire (lorsqu’un aliment passe dans la trachée vers les voies respiratoires, au lieu d’aller dans l’œsophage).

Plusieurs incidents graves de la sorte ont été signalés par le passé, valant au produit « une surveillance renforcée » depuis 2006. La mort du nourrisson fin décembre est venue raviver les inquiétudes et les critiques autour de ce médicament. Selon l’autopsie, le bébé est mort à la suite d’un « arrêt cardio-respiratoire » après avoir reçu une dose d’Uvestérol D. L’enfant a présenté « des signes de suffocation » « immédiatement après l’administration » du produit, « deux heures après la tétée », avait détaillé l’ANSM dans un courrier électronique envoyé le 30 décembre aux centres régionaux de pharmacovigilance.

  • Y a-t-il des précautions à prendre ?

En 2006, puis à nouveau en 2013, l’agence a alerté sur les précautions à prendre chez les nourrissons : « Toujours administrer le produit avant la tétée ou le biberon », installer l’enfant « éveillé » « en position semi-assise », laisser l’enfant « téter » la seringue ou faire couler le produit « goutte à goutte », ne pas l’allonger « immédiatement après l’administration », prévient la notice.

« Ce ne sont pas des gestes forcément évidents et intuitifs. Et quand on les fait tous les jours, de manière répétitive, on peut mal les faire », reconnaît le pédiatre Patrick Tounian.

  • Y a-t-il des alternatives à ce médicament ?

Deux médicaments peuvent constituer des alternatives à l’Uvestérol : le Zymad et le Sterogyl. L’Uvestérol et le Zymad se partagent la quasi-totalité du marché du médicament à usage quotidien pour les nourrissons contre les carences en vitamine D. Ces deux médicaments, vendus à plusieurs millions d’exemplaires chaque année, sont remboursés à 65 %. L’autre médicament, le Sterogyl, est moins bien remboursé par la Sécurité sociale.

« Ces deux médicaments ont l’avantage de ne pas s’administrer à l’aide d’une pipette. Ils se donnent sous forme de gouttes », précise le pédiatre Patrick Tounian. Selon Jean-Louis Chabernaud, président du Syndicat national des pédiatres en établissement hospitalier, interrogé par Europe 1, si l’Uvestérol est davantage prescrit, c’est surtout pour des raisons marketing :

« Les marques font leur communication et celle qui fait la meilleure publicité sera la plus prescrite. Aujourd’hui, c’est à la mode d’utiliser une pipette. Cela donne une indication précise du dosage et cela explique pourquoi l’Uvestérol a encore autant de succès. »
  • Que dire aux parents inquiets qui ont donné ce médicament à leurs enfants ?

La ministre de la santé, Marisol Touraine, a appelé les parents à ne plus donner le produit à leurs enfants et annoncé la mise en place d’un numéro vert pour renforcer l’information des familles, le 0800 636 636. La ministre de la santé a précisé que les recommandations pour les professionnels de santé leur seront « adressées dans la journée ».

« La ministre tient à rassurer les parents dont les enfants ont reçu ce médicament : ils ne courent aucun danger. En effet, c’est le mode d’administration spécifique du produit qui présente des risques et non pas la vitamine D », ajoute un communiqué du ministère de la santé.

Les spécialistes conseillent eux aussi d’une même voix aux parents de ne surtout pas arrêter les doses de vitamine D. « Arrêter le traitement pourrait avoir des conséquences graves pour la santé des enfants. Ce genre d’accident, dramatique, reste extrêmement rare », rappelle Patrick Tounian, qui recommande de bien respecter les précautions d’administration.

« Pour les nouveau-nés et les nourrissons de moins de deux mois, il faut rapidement aller chez son pédiatre pour qu’un traitement similaire soit prescrit. Pour les enfants qui prennent de l’Uvestérol depuis plusieurs mois, il n’y a pas lieu de s’inquiéter », précise Patrick Tounian, avant d’insister : « Même si la ministre ne pouvait pas faire autrement que suspendre le produit, par principe de précaution, il faut être rassurant, le danger est ridiculement faible. »

Vitamine D : faut-il se méfier de l’Uvestérol D ?
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